CULTURE CLUB
spectacle

Supernova

Thomas Pondevie

Trois comédiens, trois récits et une boîte noire sont les ingrédients d'une traversée littéraire qui investit des lieux hors les murs du théâtre.

Supernova repose sur l’installation hors les murs d’une « boîte à récits », dispositif scénographique mobile et transformable à mi-chemin de l’uni­vers des entre-sort forains et des spectacles de prestidigitateurs. Cette boîte est un décor et un outil pour réengager certains fondamen­taux du geste théâtral et interroger la naissance possible du spectaculaire.
 
Trois comédiens s’y succèdent pour raconter, chacun leur tour et à leur manière, une histoire où l’homme irrémédiablement chute : la marche d’un chercheur d’or à travers le grand nord canadien (Construire un feu de Jack London), le dernier tour de piste d’un jeûneur professionnel (Un ar­tiste de la faim de Franz Kafka), et le dilemme d’un soldat anglais enjoint de mettre à mort un éléphant (Comment j’ai tué un éléphant de George Orwell).
 


Une boîte à outils à destination des enseignants

Chapitre 1 : La nouvelle - connaître un genre littéraire et son histoire


Le spectacle Supernova s’empare de trois textes appartenant au genre de la nouvelle :

Construire un feu de Jack London
- Un artiste de la faim de Franz Kafka
Comment j’ai tué un éléphant de Georges Orwell

Nous conseillons de ne pas aborder la lecture des nouvelles avant le spectacle, que les élèves puissent les découvrir et les recevoir par le biais du dispositif mis en place. Cependant, il peut être bon d’aborder le spectacle en leur faisant découvrir ou revoir, selon les niveaux, les spécificités de la nouvelle, son histoire, et les affinités qui la lient au théâtre.

DEFINIR LES TRAITS SPECIFIQUES DE LA NOUVELLE

La nouvelle présente 3 caractéristiques particulièrement marquantes. La première, susceptible d’être rapidement identifiée par les élèves qui auront abordé le sujet en seconde, est celle d’une taille plus réduite que celle du roman. La seconde concerne la véracité supposée de l’histoire racontée : cette prétention à la vérité est importante et s’inscrit naturellement dans la perspective du courant réaliste et naturaliste de la fin du XIXème. La troisième caractéristique, plus discutable, concerne l’impassibilité supposée du narrateur. Cela peut alors être l’occasion de revenir sur différentes notions d’analyse des genres narratifs, en particulier la focalisation et le point de vue dans la narration.
 

Avant le spectacle


- Demander aux élèves ce que leur évoque spontanément le mot « nouvelle ». Quelles sont les références qui viennent ? Que signifie demander à quelqu’un de ses nouvelles ? Comment donne-t-on de ses nouvelles ? Attend-on dans ce cas une histoire véritable ou une fiction ?

- Rechercher dans un dictionnaire le sens de nouvelle. Demander aux élèves pourquoi ces différents sens peuvent présenter une cohérence et permettre de comprendre ce qu’est une nouvelle en tant que genre littéraire.
 

Après le spectacle


Travail sur les 3 nouvelles : faire travailler les élèves par groupe. Chaque groupe va s’occuper d’une nouvelle en particulier. On peut ainsi leur demander :

- d’identifier le narrateur, le personnage principal, et les autres personnages.
- de caractériser la focalisation adoptée dans les trois récits. Est-elle toujours la même ?
- Quels sont les temps employés ? S’agit-il de temps du récit ou de temps du discours ?
- Dans quel pays, à quelle époque, se déroule l’histoire racontée ? Quels sont les indices qu’ils peuvent relever ?

Chaque groupe peut ensuite présenter le résultat de ce travail à la classe par le biais d’une restitution orale. Par ailleurs, les différents éléments peuvent être rentrés dans un tableur afin de permettre une vision claire des points communs et des différences.
 

Pour aller plus loin


La nouvelle pose un certain nombre de difficultés quand on essaie de distinguer des critères spécifiques, à tel point que de nombreux chercheurs soulignent l’impossibilité d’établir des critères fiables, dans la mesure où la diversité des formes que revêt le genre présente toujours des cas limites. Cependant on peut observer un certain nombre d’éléments qui, s’ils sont toujours susceptibles d’être discutés dans le domaine de la recherche universitaire, n’en constituent pas moins des repères utiles pour les élèves.

A cet égard, Robert Dion propose la définition la plus synthétique et la plus pratique dans le cadre d’un cours sur la nouvelle :

« Dans un souci de synthèse, on peut retenir en premier lieu l’idée de nouveauté qui la distingue de cet autre récit bref qu’est le conte : celui-ci relate les événements d’un lointain passé, tandis que le terme « nouvelle » s’appliquant autant à ce qui est raconté qu’au récit lui-même, suppose un événement vrai et récent. En deuxième lieu, la nouvelle renvoie souvent à la situation orale de récit. Troisièmement la brièveté revient dans l’ensemble des définitions du genre. »

Trois critères en particulier offrent donc un solide point de départ pour l’analyse de la nouvelle.

La longueur

La nouvelle, comme son nom l’indique, par sa construction avec un suffixe diminutif, a tendance à être plus courte qu’un roman, même si cette taille peut considérablement varier. Alors que la nouvelle du XVIème fait entre dix et quinze pages, au XVIIème elle peut s’étendre de 100 à 200 pages, un écart qui peut se retrouver dans des écritures moins tardives. Cependant, bon nombre de nouvelles se présentent sous une forme courte, qui favorise les effets de surprise et de « pointe » rhétorique, avec une fin généralement surprenante. Cet effet de surprise, la spécificité de la composition qu’elle induit, est un élément fondamental pour Poe comme pour Baudelaire, et contribue à faire de la longueur non une simple question de quantité, mais bien de qualité : par sa taille réduite, la nouvelle va favoriser une économie de la narration spécifique, que l’on retrouve dans les trois nouvelles du spectacle. C’est cette singularité de la structure que met par exemple en évidence la définition de la nouvelle que l’on peut trouver dans Le Robert : « Récit généralement bref, de construction dramatique ». On pourra également proposer aux élèves de réfléchir à la remarque de Gide, qui s’attache cette fois à la spécificité de la réception : « La nouvelle est faite pour être lue d’un coup, en une fois ».

La vérité

La nouvelle se présente, dès la Renaissance, comme une « histoire vraie ». Cette revendication accompagne nombre des récits des personnages du Decameron de Boccace ou de L’Heptameron de Marguerite de Navarre. Comme l’écrit Segrais elle « doit un peu davantage tenir de l’histoire » que le roman. Pour autant, elle ne se borne ni au réalisme ni au naturalisme. Il existe des nouvelles ouvrant au merveilleux, même si elles s’inscrivent le plus souvent dans le fantastique, et donc dans une indécidabilité. Mais même dans les cas où le fait raconté paraît tout à fait exceptionnel, le récit ne cesse de proclamer la véracité de ce qu’il raconte. Dans toutes les civilisations, les nouvelles se présentent comme « vraies », et non plus simplement vraisemblable. Alors que le vraisemblable se définit comme « ce qui doit être conformément à la raison et aux mœurs », le vrai est simplement « ce qui est ». La célèbre citation de Corneille, « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable » peut s’envisager, dans la perspective de la nouvelle, comme l’affirmation d’une réalité qui dépasse la fiction, et qui devient alors elle-même source d’inspiration pour les écrivains.

L’impassibilité du narrateur

Ce dernier critère est plus ambigu, et les trois nouvelles du spectacle, par les différents types de focalisation qu’elles mettent en place, sont l’occasion de le discuter. Si l’impassibilité est bien une caractéristique récurrente dans les nouvelles de Prosper Mérimée, nombreuses sont celles qui s‘arrachent à cette neutralité, soit parce que le héros est aussi le narrateur, soit parce que le personnage qui va raconter cette histoire se trouve impliqué, d’une façon ou d’une autre, dans l’aventure qu’il raconte. On peut en particulier penser au Horla de Maupassant ou, de façon encore plus marquée, à Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, qui fait un emploi remarquable du monologue intérieur.



ABORDER L'HISTOIRE DU GENRE ET LES AUTEURS DES NOUVELLES DU SPECTACLE

La nouvelle s’épanouit dans deux périodes distinctes, à la Renaissance et dans le courant du XIXème siècle. Il peut être à cette occasion intéressant de souligner le lien qu’elle entretient avec certaines innovations technologiques qui vont favoriser sa diffusion, en particulier l’imprimerie et le développement de la presse papier. Ce lien entre la presse et la nouvelle se retrouve dans le nom même qui est donné au genre, et qui renvoie à la fois à cette idée de nouveauté et de véracité.
 

Avant le spectacle


La connaissance des caractéristiques de la nouvelle permet de faire le lien avec les évolutions techniques et technologiques, et en particulier avec le développement du journalisme tout au long du XIXème siècle. C’est l’occasion d’explorer la biographie des différents auteurs, et de regarder leur positionnement par rapport à l’actualité qu’ils ont vécue. On peut ainsi proposer aux élèves de :

- faire des recherches biographiques sur les 3 auteurs : existe-t-il des liens, dans leur biographique, avec l’univers du journalisme ? Certains auteurs ont-ils écrit des articles pour des publications ? A quelle occasion ?

- faire le lien entre ces éléments biographiques et les périodes importantes de l’Histoire. Quel a été le positionnement de ces auteurs face aux événements historiques qu’ils ont traversé ?
 

Après le spectacle


- faire des recherches sur les périodes abordées, et voir ce qui paraît crédible ou non aux élèves. Les histoires racontées leur paraissent-elles possibles ou non ? Les artistes de la faim ont-ils existé ? Quelles étaient les lois et les codes qui régissaient les colonies anglaises en Inde ?


Pour aller plus loin


Perspective générale sur l’histoire de la nouvelle

La nouvelle va se développer en France à partir de la Renaissance, sous l’influence du modèle italien du Decameron de Boccace, qui inspirera notamment L’Heptameron de Marguerite de Navarre, mais l’on peut aussi songer aux Cent nouvelles nouvelles de Bonaventure Despériers ou Le Grand Parangon des nouvelles nouvelles de Nicolas de Troyes. Parmi ses ancêtres, on citera les fabliaux médiévaux mais aussi l’exemplum, court récit utilisé pour illustrer une thèse, et certains épisodes de l’Odyssée, comme la visite chez Circé, par leur format et leur unité, ont parfois été envisagés comme des nouvelles venant s’inscrire dans l’épopée héroïque, de la même manière que des romans peuvent donner lieu à de courts récits venant s’inscrire dans une trame narrative plus longue.

Si sa plasticité lui permet de perdurer au fil des siècles – Les Contes de La Fontaine pouvant à bon droit s’envisager comme des nouvelles – on considère généralement que la Nouvelle va connaître une véritable renaissance au XIXe siècle en Europe. On voit alors apparaître de nombreux styles de nouvelles, depuis la nouvelle réaliste ou naturaliste jusqu’à la nouvelle fantastique voire merveilleuse. Un développement qui va de pair avec un intérêt de plus en plus marqué pour l’étude de l’intériorité des personnages, leur subjectivité, en lien avec la valorisation de l’individu et de ses émotions dans la période romantique, mais qui peut aussi s’accompagner d’une dimension plus sociale. Quand Schlegel écrit que « La nouvelle est une histoire qui n’appartient pas à l’Histoire », il ouvre la voie à des récits qui sont ceux des femmes et des hommes ordinaires, rompant avec l’héroïsme et l’idéal des grands hommes qui seuls seraient dignes de faire l’objet d’une œuvre littéraire.

Dans sa diversité même, la nouvelle au XIXe va connaître une « vogue » de plus en plus marquée, qui se perpétuera tout au long du XXe siècle et qui se poursuit encore aujourd’hui. Si la reconnaissance institutionnelle prendra du temps – ce n’est qu’en 1971 que l’Académie Française crée un « Prix de la nouvelle » - le succès auprès des lectrices et des lecteurs ne s’est, lui, jamais démenti, et les plus grands auteurs se sont souvent, un jour ou l’autre, prêtés à l’écriture d’une ou plusieurs nouvelles.


Oralité et réalité : la nouvelle, une réflexion sur l’information à l’ère du numérique ? (EMC – EAC)

Le développement du journalisme, dans la seconde moitié du 19e siècle a contribué au succès de la nouvelle, qui, par son format, se prêtait particulièrement bien à une publication dans les différents journaux de l’époque. Mais ce lien va bien au-delà du caractère « pratique ». La prétention de la nouvelle à la vérité, le jeu qu’elle met souvent en place avec des rumeurs, des faits divers, les différentes explications d’un même fait qu’elle fournit, tout cela contribue à faire de la nouvelle l’occasion pour les élèves de réfléchir sur la question de l’information à l’ère du numérique. En montrant l’écart entre la vérité intérieure du personnage, et l’interprétation qui est faite de son acte, une nouvelle comme celle d’Orwell offre une réflexion intéressante sur l’écart qui peut exister entre un fait et la signification de ce fait.

Par ailleurs, dans certaines nouvelles de Maupassant, un même phénomène peut recevoir une explication surnaturelle ou scientifique. Ce partage se retrouve régulièrement dans les réseaux sociaux, notamment sur les sujets donnant lieu à des théories complotistes, comme sur les OVNI ou sur les traînées blanches laissées par les avions dans le ciel. Il peut donc être utile de s’appuyer sur les tensions mises en valeur dans une nouvelle comme « Magnétisme » de Maupassant pour engendrer une réflexion et une discussion en cours.

Enfin, souvent racontée par un personnage, donc relevant de la rumeur et du « on-dit », la nouvelle permet également de réfléchir sur la différence entre une opinion et une information, sur l’écart qui existe entre ce que peut raconter une personne pour différentes raisons, et ce qui fera l’objet d’une recherche et d’un recoupement de sources.

 

Chapitre 2 : Théâtre et récit - comprendre ce qui les rapproche
 

Par sa longueur, réduite, par le point de vue qu’elle adopte sur le monde, par la volonté de partager des histoires courtes et frappantes, la nouvelle présente des possibilités nombreuses dans le cadre d’un spectacle théâtral. Surtout, parce qu’elle est un récit, elle va naturellement pouvoir trouver sa place au plateau, le théâtre ayant depuis longtemps intégré des moments narratifs. La question du rapport entre théâtre et récit est donc particulièrement riche. Il est possible d’aborder ce sujet de multiples façons, en partant aussi bien de pratiques familières aux élèves qu’en s’appuyant sur l’épopée antique ou médiévale. Nous proposons ici trois entrées complémentaires les unes des autres, mais qui peuvent aussi donner lieu à un traitement séparé.

Nous conseillons de ne pas aborder la lecture des nouvelles avant le spectacle, que les élèves puissent les découvrir et les recevoir par le biais du dispositif mis en place. Cependant, il peut être bon d’aborder le spectacle en leur faisant découvrir ou revoir, selon les niveaux, les spécificités de la nouvelle, son histoire, et les affinités qui la lient au théâtre.



ABORDER LE RAPPORT ENTRE THEATRE ET RECIT A PARTIR DE L'ORALITE



Si la nouvelle peut se prêter à un passage à la scène, c’est qu’elle constitue un récit relativement court, efficace, et héritier, d’une certaine façon, des contes et des récits oraux. Ce n’est pas un hasard si les œuvres de la Renaissance comme L’Heptameron de Marguerite de Navarre intègrent souvent les nouvelles dans le cadre de discussions de personnages. Le récit, acte de raconter, est d’abord une pratique orale. On raconte de vive voix – l’écriture ne viendra que dans un second temps. Ce lien avec l’oralité se traduit généralement par un certain nombre de critères facilement identifiables : répétitions, phrases plus courtes, utilisations d’intonations variées, interrogatives et exclamatives, variations dans l’utilisation des temps verbaux, présent de narration etc. Il s’agit avant tout de faire comprendre et ressentir aux élèves ce qui, dans un texte non théâtral, peut « appeler » la scène, et donc nourrir le désir du metteur en scène de l’aborder au plateau.
 

Avant ou après le spectacle


Faire rechercher aux élèves des écrits où les marques de l’oralité sont particulièrement marquées. Cela peut aussi bien concerner des écrits relevant de la poésie (fables de La Fontaine notamment « Le pouvoir des fables ») que de genres plus anciens (épopée médiévale et antique) ou des écrits contemporains : chroniques, sketchs etc. L’important est ici de voir le lien qui s’établit entre narration et oralité, qui sont deux composantes essentielles du récit.

Leur faire lire les textes ainsi trouvés à haute voix : c’est l’occasion pour eux de se confronter aux possibles difficultés d’une écriture, et de remarquer les écrits où l’oralité est la plus évidente et ceux au contraire où elle s’avère plus complexe.

Parmi les textes proposés, amener les élèves à en choisir 3 qui leur semblent particulièrement propres à être joués au théâtre. Le but est ici de présenter une défense argumentée de leurs choix, et d’observer s’il y a unanimité ou non sur ces caractéristiques. Cela peut renvoyer aussi bien au fond, sujet particulièrement important, histoire extraordinaire ou bien à des éléments formels : narration à la première personne, rythme de la phrase proche de l’oralité etc.


Pour aller plus loin


Théâtre et récit nous apparaissent souvent comme bien distincts, voire difficilement compatibles : ils recouvrent deux genres littéraires distincts, le roman d’un côté, le théâtre de l’autre. Il n’en a pas toujours été ainsi. Cela tient en grande partie à ce que le récit, à partir de la Renaissance et du développement de l’imprimerie, apparaît souvent sous la forme d’un écrit. Pourtant, des œuvres comme L’Heptameron de Marguerite de Navarre montrent assez ce que de tels récits doivent à des pratiques orales. Et s’il est parfois difficile pour nous, aujourd’hui, d’envisager la littérature sans le texte, il en a cependant été ainsi pendant de longues périodes de l’histoire de l’humanité. C’est justement parce que le récit, depuis l’aède antique en passant par le jongleur médiéval, a souvent été l’occasion d’une performance, d’une mise en jeu, que des affinités réelles existent entre le récit et le théâtre. Ce qui fonde par exemple la distinction entre mode épique et mode dramatique selon Aristote ou Platon ne réside pas dans l’oralité ou la dimension spectaculaire, mais dans la présence, ou non, de l’auteur qui raconte :

« C’est très correct, dis-je, tu as compris ; je crois que vais maintenant te faire une révélation jusqu’à présent impossible : dans la poésie comme dans la fiction, il y a un art qui recourt entièrement à l’imitation : c’est, comme tu dis, la tragédie et la comédie ; un autre recourt à l’énonciation personnelle du poète : on en trouverait surtout dans certains dithyrambes. Un autre enfin recourt aux deux procédés à la fois : dans la poésie épique, et bien ailleurs si tu me comprends. »

L’ancienneté de cette affinité entre théâtre et récit est soulignée par Michel Corvin : « L’écriture dramatique est à sa naissance adaptation : les tragédies grecques dramatisent des mythes connus sous forme épique ; Shakespeare adapte des chroniques. Jusqu’à l’époque classique, bien des grandes pièces s’inspirent de textes antérieurs ou étrangers : l’adaptation est une dynamique essentielle du développement du genre. » Il y a donc bien, dès l’origine, un lien extrêmement fort, qui se retrouve également dans certaines pratiques, comme celle du rhapsode, qui raconte des épisodes épiques en les jouant, et donc en présentant bien des caractéristiques de ce que nous considérons comme celles de l’acteur. C’est ce que montrent en particulier certains dialogues platoniciens, comme L’Ion. De la même façon, dans une épopée antique, bien souvent, les personnages se racontent des histoires entre eux. On peut par exemple aborder le chant de L’Odyssée où, à la table des Phéaciens, se succèdent le récit de l’aède et celui d’Ulysse. De la même façon, l’écriture d’une épopée médiévale garde la trace de cette oralité, d’une littérature vouée à être, à un moment où un autre, l’objet d’une performance, avec, par exemple, un système de répétition et une structure en laisse particulièrement travaillées. Cependant ces affinités vont perdurer même après que les pratiques orales du récit vont se faire de plus en plus rares.
 


ABORDER LE RAPPORT ENTRE THEATRE ET RECIT A PARTIR DU THEATRE CLASSIQUE


Le théâtre classique, en particulier dans la tragédie, intègre de nombreux récits. Une pratique qui renvoie directement à l’influence de la rhétorique sur l’écriture dramatique de cette période. Moment particulièrement attendu dans la pièce, le récit répond à la fois à des impératifs liés à la doctrine classique – notamment la question des bienséances, et donc l’impossibilité de représenter des actions violentes sur scène – et à des enjeux spécifiquement théâtraux : la bataille de Rodrigue contre les Maures dans Le Cid de Corneille, par exemple, ou bien la mort d’Hippolyte dans Phèdre sont, par les moyens qu’ils nécessitent, difficile à montrer d’un point de vue technique. Outre la rupture de l’unité de lieu, l’ampleur de l’action, le nombre des figurants ou la réalisation d’un monstre satisfaisant sont autant d’entraves que le recours au récit permet de lever.
 

Avant ou après le spectacle


Préparer une lecture orale d’un récit « classique ». Outre les deux exemples cités, celui du Cid et de Phèdre, on pourra proposer aux élèves de travailler ceux de Rodogune de Corneille et Amphitryon de Molière :

Récit et suspense : la naissance d’un lieu commun.

Corneille utilise le récit de Timagène, au cinquième acte de Rodogune, pour jouer avec les attentes du spectateur. A la révélation de la découverte du corps, s’ajoute la surprise de savoir qu’il a pu parler avant de mourir, et désigner la personne qui l’a assassiné. Mais alors que l’on s’attend à une révélation claire, il ne laisse derrière lui qu’une énigme. Si la pièce s’avère assez compliquée à analyser dans son ensemble, résumer l’intrigue et aborder ce passage avec les élèves permet de leur montrer que Corneille utilise ici ce qui deviendra un lieu commun du cinéma : la mort d’une victime juste avant d’avoir pu citer le nom de son assassin.

Construire un récit sur scène

L’emploi du récit dans la tragédie se trouve mis en évidence par Molière dans la scène d’exposition d’Amphitryon. Sosie, dans l’acte I scène 1, va construire et répéter son récit tel un comédien par le biais d’un monologue virtuose. Un récit d’autant plus intéressant que son énonciateur avoue n’avoir rien vu du combat qu’il doit raconter.

Chacun de ces récits est l’occasion pour les élèves :

de réfléchir à l’adresse. Qui parle à qui ? Quel est le but de ce récit ? Quel est l’enjeu qui pousse les personnages à le faire ?

d’observer la façon dont un récit peut donner la parole à une personne absente : comment le marquer ? Par quel changement de voix ? Comment ces récits peuvent-ils faire écho à certaines pratiques comiques, comme celle du stand-up.

de travailler sur l’oralité : variation de rythmes, clarté de l’articulation, etc.


Pour aller plus loin
 

Parce qu’il donne lieu à de nombreuses tirades, le théâtre classique est souvent vu comme un théâtre recourant fréquemment aux monologues, alors même que ces derniers ont été très souvent critiqués par les théoriciens au nom de la vraisemblance. Ainsi, de longs récits, comme celui de Rodrigue dans Le Cid ou de Théramène dans Phèdre ne sont nullement des monologues : alors que ceux-ci sont, selon la définition d’Anne Ubersfeld, « des discours sans interlocuteurs scéniques » , les récits que font les personnages sont bien faits pour être racontés à quelqu’un : au roi, à Thésée, bref, à des interlocuteurs qui ont intérêt à écouter l’histoire. Souvent employé pour raconter ce que l’on ne pouvait montrer sur scène au nom des bienséances, le récit emprunte alors à la narratio rhétorique son efficacité spectaculaire.

Le récit évoque donc par des mots une action qui n’est point représentée sur scène. Les auteurs classiques préfèrent la représentation de cette action à son récit, mais plusieurs contraintes et principes essentiels prohibent souvent représentation de l’action : l’unité de lieu, les bienséances et la vraisemblance.

Les récits ne sont donc admissibles qu’autant qu’ils sont indispensables. C’est ce que souligne un théoricien majeur de la doctrine classique, l’Abbé d’Aubignac, quand il déclare qu’il ne faut « point faire par récit ce que les principaux acteurs peuvent vraisemblablement faire eux-mêmes sur scène » . Le domaine du récit est donc délimité et se restreint souvent à deux places privilégiées : le début et la fin de la pièce. Le récit d’exposition sert à faire connaître les données utiles à l’action quand le récit du dénouement narre souvent la mort du héros ou d’un protagoniste. Jacques Scherer, dans l’ouvrage qu’il consacre à la dramaturgie classique, insiste donc sur cette double règle : « il faut que celui qui raconte une histoire ait « une raison puissante pour la raconter » et que « celui qui écoute ait juste sujet de savoir ce qu’on lui raconte » . C’est également à Jacques Scherer que nous emprunterons ce résumé de la place du récit dans la dramaturgie classique :

« Il ne faut raconter des événements que lorsque leur récit ajoute de l’intérêt à la pièce et lorsque celui qui fait et celui qui écoute le récit sont dans une situation telle qu’ils doivent nécessairement le faire et l’écouter. Le récit ne doit pas répéter des faits déjà connus du spectateur ; il se trouve de préférence au début ou à la fin de la pièce. »
 

Chapitre 3 : Supernova, le récit en scène : comprendre la fabrique du spectacle et son esthétique
 

En portant à la scène ces trois nouvelles, Thomas Pondevie cherche à créer une boîte à récit, qui puisse se déployer hors des murs, dans des lieux variés. Le titre même de la pièce, Supernova, renvoie à l’idée d’un événement à la fois intense et bref, dont l’éclat ne dure pas. C’est cette dimension qui traverse l’ensemble du spectacle : d’un récit à l’autre, d’un espace à l’autre, vit et meurt une fiction, une histoire, un espace. Ces trois histoires de mort viennent aussi questionner notre rapport au monde, à ce qui nous entoure, notre voyeurisme mais aussi notre incapacité à déchiffrer les signes qui nous entourent. C’est ainsi que la mesure de la température échoue à prévenir véritablement l’homme de la première nouvelle du danger qui le menace – et que le chien, lui, sent parfaitement – et que le nombre affiché devant la cage du jeuneur dans la nouvelle de Kafka ne signifie plus rien, une fois oublié l’artiste de la faim. Enfin, c’est bien le poids du regard, de l’attente, de l’événement, qui vient en définitive conduire le narrateur de la nouvelle d’Orwell à faire ce que l’on attendait de lui : un acte de mort, de violence, que lui-même n’avait aucune envie d’accomplir. Une façon, en somme, de venir nous rappeler l’impact du spectaculaire, son influence et la fascination qu’il entraîne, dans une société où il vient sans cesse s’affirmer.


"FAIRE VOIR SANS RIEN MONTRER" : LE DEFI DE SUPERNOVA


La citation « Faire voir sans rien montrer » est de Thomas de Pondevie, le metteur en scène du spectacle. Elle résume l’un de ses enjeux, en même temps qu’elle vient prolonger une ambition ancienne, celle du récit sur la scène classique, qui proposait, de la même façon, de substituer au spectacle visuel le spectacle de la parole. C’est cette tension qui est au cœur de la pièce, une tension qui prend encore davantage d’importance dans une société et une époque comme la nôtre, où triomphent les images, fixes ou animées.


Avant le spectacle


Demander aux élèves ce que leur évoque le titre « Supernova ». Rechercher à quoi correspond ce phénomène, et essayer de voir les affinités avec le théâtre : caractère à la fois intense et éphémère, thématique de la disparition et de la mort.

Le phénomène des supernovas constitue en outre un spectacle qu’il n’est pas possible de voir à l’œil nu, et qui pourtant se déroule sous nos yeux, quand nous les levons vers le ciel. Le titre est donc particulièrement énigmatique, voire trompeur : il peut donner le sentiment que l’on va voir un spectacle de science-fiction. Il sera donc intéressant de confronter l’évocation que cela suscite avant, et la manière dont les élèves comprennent le titre ensuite, après avoir vu le spectacle.


Après le spectacle


Analyser les costumes

Interroger les élèves sur le lien que chaque costume établit avec les univers des nouvelles et celui de la scénographie ? Comment ces costumes assurent-ils une cohérence avec ce que raconte la nouvelle ? Comment évoluent-ils au fur et à mesure de l’avancée du récit ?

Analyser la gestuelle et le jeu des comédiens

Interroger les élèves sur ce que jouent les comédiens dans le spectacle. Les voit-on réellement interpréter un personnage ? Ont-ils toujours le même rôle ? Comment marquent-ils le passage du narrateur au personnage ? On pourra en particulier insister sur le rôle du corps et le travail vocal : accélérations, changements de tons, gestes voire, dans le cas de l’éléphant, suggestion par le mime.
 

Pour aller plus loin


Suggérer sans illustrer : gestuelle et costumes des comédiens

Alors que le théâtre fonctionne souvent comme un « ici et maintenant » évoquant un « ailleurs autrefois », ce spectacle est l’occasion de confronter les élèves à une pratique différente, où les comédiens sont avant tout des récitants, des conteurs. La mise en scène vient inscrire ces récits dans un cadre, celui de la foire, celui du cirque Barnum, comme le souligne le propos du bonimenteur, où chaque nouvelle va trouver sa place.

Les différents costumes s’inscrivent dans un double système de référence : référence, d’une part, au théâtre forain, à l’univers du cirque, voire à celui des maisons hantées, avec cet étrange couloir qu’une main squelettique invite à emprunter pour passer d’un espace à l’autre. Mais en même temps, ces costumes viennent évidemment faire le lien avec l’univers des nouvelles.

On pourra par exemple souligner :

Pour la première nouvelle

La façon dont le brillant du costume, renvoyant à celui d’un monsieur Loyal ou d’un prestidigitateur vient aussi, par son miroitement et ses paillettes, évoquer le froid, la glace : le retournement des manches vient ainsi manifester l’engourdissement progressif des mains du personnage principal.


Pour la deuxième nouvelle
 
Les gants-squelette de la comédienne nous invitant à franchir le couloir et le t-shirt du narrateur s’inscrivent à la fois dans l’univers du train fantôme, et donc de la foire, tout en renvoyant à la thématique plus générale de la mort, et, de façon plus spécifique, à la pratique du jeûne : le corps squelettique de l’artiste de la faim ne nous est pas montré, mais suggéré. Par ailleurs, on peut aussi y voir une allusion fragmentée, discrète, aux représentations des danses macabres qui viennent mêler allégorie de la mort et référence à des pratiques festives : un renvoi à l’art religieux que soutient également la question des 40 jours, par la référence aux 40 jours du carême dans la religion chrétienne.

Pour la troisième nouvelle

La rupture qui vient s’établir avec l’emploi d’un masque, et en même temps la simplicité et la clarté d’un costume qui nous arrache à l’univers du froid ou à celui du jeûne, pour suggérer un univers plus chaud, celui de la Birmanie. Le masque fonctionne donc comme une transition, de la panthère, animal exotique, vers les Indes Britanniques, en même temps qu’il signale la possibilité de jouer un animal, ce que fera précisément la comédienne par la suite.

Le traitement des costumes dans la pièce peut aussi être l’occasion de revenir sur le fonctionnement de certaines figures de style et d’observer qu’elles peuvent aussi être convoquées pour analyser un spectacle : comparaison et métaphore quand le brillant d’une veste devient le froid et la glace du grand nord ; métonymie, quand les ossements dessinés sur un t-shirt renvoient au corps maigre du jeûneur, dont on imagine que les côtes sont saillantes.

La gestuelle fonctionne de la même manière : elle peut être plus ou moins appuyée mais la plupart du temps elle esquisse une image, et établit moins une redondance par rapport à ce qui est dit, qu’un rapport légèrement décalé entre l’avancée du récit et sa mise en jeu par le corps.

Première nouvelle

C’est le cas, par exemple, de la façon dont l’engourdissement des mains, ou le sentiment du gel sur le visage est déployé par le comédien de façon progressive dans la première nouvelle, parfois légèrement en avance, parfois en retard, comme si peu à peu la fiction s’emparait du comédien, jusqu’à l’imagine finale où il s’accroupit pour faire un feu avec les lettres. Mais même cette image joue sur l’univers circassien, la flamme employant un accessoire bien connu des prestidigitateurs.

Deuxième nouvelle

C’est le jeûneur qui va peu à peu se dessiner, à la fois par le dévoilement du costume, et en même temps par la posture du comédien quand il vient s’asseoir sur le tabouret à côté de la tente. Le décalage subit par l’artiste de la faim, qui se retrouve dans un cirque, comme une attraction secondaire, est alors accentué par la façon dont les bruitages viennent concurrencer sa parole.

Troisième nouvelle

L’éléphant est à la fois mentionné par le récit, et en même temps convoqué par la comédienne par sa gestuelle, tout comme l’emploi d’un accessoire, le fusil, qui va finalement être simplement posé, montré, mais qui ne va pas faire l’objet d’une utilisation scénique. On pourra ainsi remarquer qu’alors que le récit indique que le narrateur est allongé pour tirer, la comédienne n’emploie pas cette posture, mais marque cependant une pause et une attention particulières. Nulle redondance, encore une fois, mais une esquisse, laissant à l’imagination du spectateur la possibilité de combler, de compléter l’image par l’alliance des mots et de la scène.

 


PORTER LE RECIT A LA SCENE


Si certaines caractéristiques facilitent le passage de la nouvelle à la scène, ce passage ne se fait cependant pas sans un certain nombre de modifications, plus ou moins marquées. Si le travail de Thomas de Pondevie s’appuie avant tout sur des coupes réalisées dans les différentes nouvelles, leur juxtaposition, leurs échos, leurs différences de traitement mais aussi l’ajout d’éléments extérieurs peuvent être analysés par les élèves. On pourra notamment attirer leur attention sur l’ajout, au commencement du spectacle, d’une bande son reprenant le propos d’un bonimenteur, ou la façon dont les récits font, chacun à leur façon, écho à une situation spectaculaire ou particulièrement forte.


Avant le spectacle


Demander aux élèves s’ils connaissent le sens du mot adaptation. Si jamais le mot pose problème, conduire une recherche dans un dictionnaire. Quels sont les exemples qu’ils peuvent donner ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?

A partir de là, deux pistes sont possibles (et peuvent être combinées) :

1) En s’appuyant sur des références « classiques » : observer les liens entre « La Précaution inutile », nouvelle de Scarron, et L’École des femmes de Molière (des pistes sont proposées notamment sur le site Molière 21) ; entre l’évocation dans l’Odyssée de l’histoire d’Agamemnon et de sa descendance et le traitement qu’en propose L’Orestie d’Eschyle.

2) En s’appuyant sur des références familières aux élèves : il existe de très nombreuses adaptations de comics au cinéma, et il peut être intéressant de tenir compte des changements qui peuvent s’opérer dans ce cadre-là. Qu’est-ce qui fait que tel épisode ou tel héros s’avère plus cinématographique qu’un autre ?


Après le spectacle


Analyse du spectacle, la question des comédiens narrateurs

Demander aux élèves d’essayer de se rappeler : les variations de positionnement des comédiens (par exemple, dans L’artiste de la faim, la venue dans le public avec un source d’éclairage au moment d’évoquer la rupture du jeûne mais aussi le passage du comédien de la nouvelle de London derrière le tulle à la toute fin ou bien la façon dont la comédienne de la nouvelle d’Orwell vient rétrécir le cadre de la scène ou s’emparer d’un fusil à l’avant-scène etc.). A quel moment étaient-ils plus en position de narrateur, à quels moments se rapprochaient-ils d’un rôle de personnage ? (que ce soit le personnage principal, le jeûneur par exemple, ou non : ainsi du travail sur la posture de l’éléphant dans la troisième nouvelle notamment).

L’objectif est de montrer aux élèves comment la position des comédiens renvoie à des changements de point de vue et de focalisation, à l’instar de phénomènes que les élèves auront étudié dans les romans. On observe alors comment l’espace vient jouer différemment en fonction de la position des comédiens par rapport au cadre, et comment ils peuvent aussi bien aller vers une forme de jeu ou au contraire rester dans le récit.

A partir de cette analyse, il est alors possible de proposer un exercice de lecture à haute voix et de rédaction, voire de jeu :

Proposer aux élèves de choisir, dans une des trois nouvelles, un passage d’une quinzaine de lignes qui, à votre avis, ferait une bonne histoire à lire à voix haute.

Leur faire réaliser cette lecture, et à partir de là, leur demander de la réécrire ou de la modifier pour pouvoir la dire, voire la jouer, plus simplement. Ils pourront notamment observer la façon dont un changement, soit dans la longueur et la construction des phrases, soit en passant des temps du récit aux temps du discours, peuvent permettre de s’en emparer plus simplement.

Proposer de mettre en espace ce passage en s’appuyant sur ce qui aura été vu sur les positionnements des comédiens lors de l’analyse du spectacle.


Pour aller plus loin


La vague des adaptations dans le théâtre du XIXème siècle

Le lien entre théâtre et récit a pu être plus ou moins fort, plus ou moins clair, il n’en est pas moins réel, et s’est manifesté à de nombreuses reprises au fil de l’histoire du théâtre. On peut même observer que le triomphe du théâtre comme industrie du spectacle dans le Paris du XIXe siècle s’accompagne des mêmes phénomènes que ceux du cinéma aujourd’hui. Ainsi, la tendance du cinéma à l’adaptation, qui permet de s’appuyer sur une œuvre connue, dont le succès assure celui du film, n’est pas une nouveauté, comme le remarque Patrice Pavis :

« Au XIXe siècle, les romanciers, souvent pour des raisons financières, adaptent eux-mêmes leurs œuvres. Gagné par le naturalisme, le théâtre cherche à se « ressourcer » dans le roman, devenu le mode de fiction dominant alors que l’invention dramatique semble essoufflée. Les adaptations de roman prolifèrent (Antoine monte Zola), souvent construites de façon très traditionnelle ; elles laisseront peu de traces, mais l’écriture des grand dramaturges de la fin du siècle porte la marque de ce tropisme du théâtre vers le roman. »

Parmi les adaptations célèbres, on pourra notamment citer celle qui est faite de L’Assommoir de Zola, et l’on pourra proposer aux élèves de choisir, parmi les passages du roman, ceux qui leur apparaissent particulièrement théâtraux, soit par l’importance des dialogues, soit par la mise en jeu des corps. On peut notamment penser à la noce, ou bien à la dispute initiale entre Gervaise et d’autres femmes.

« Faire théâtre de tout » : l’innovation vitézienne

Si ce lien est si ancien, pourquoi alors le rapport entre théâtre et récit s’envisage-t-il souvent comme une nouveauté, relevant de l’avant-garde ? D’abord parce que la plupart du temps, ce lien, s’accompagnait d’un phénomène d’adaptation ; d’autre part car la distinction entre mode dramatique et mode épique, à l’origine de la distinction générique, avait, la plupart du temps, survécu. L’originalité du théâtre-récit réside alors dans la conservation des spécificités du récit qui cesse d’être adapté pour être simplement montré et pratiqué sur scène. Il ne s’agit plus d’intégrer le récit, mais bien de l’assumer, au cœur même du plateau, en tant que récit.

Un spectacle, en France, va marquer le grand retour du récit sur la scène : il s’agit de Catherine d’Antoine Vitez, qui s’inspire Des Cloches de Bâle d’Aragon. Au cours du spectacle, les acteurs se passent l’ouvrage et en lisent des passages, sans chercher à jouer un personnage. Ils adoptent une posture de narrateur à part entière, qui n’est pas sans rappeler celles du rhapsode de l’antiquité ou du jongleur médiéval dont Dario Fo, auteur et comédien italien, prix Nobel de littérature, s’inspire directement. Cette filiation s’affirme par exemple dans son texte « La naissance du jongleur ». En effet, à l’époque médiévale, le jongleur est d’abord un jongleur de mot. On peut citer des poètes comme Rutebeuf et Adam de la Halle, et l’on remarquera que la description qui est faite des jongleurs par les autorités ecclésiastiques souligne bien la dimension théâtrale de ces pratiques. Ainsi, au début du XIIIe siècle, dans son manuel de confession, Thomas de Chabam distingue Les bons jongleurs qui « chantent les exploits des barons et la vie des saints » et les mauvais jongleurs qui « transforment et transfigurent leurs corps par des postures indécentes et des comportements indécents, soit en se dénudant, soit en revêtant des masques indécents ».

Différentes voies se dessinent au fil du XXe siècle qui tendent à faire de l’acteur un conteur ou un narrateur, avec tous les enjeux de codification et de traitement spécifique que cela suppose. On revient alors, d’une certaine manière, à des pratiques relevant d’une époque où la littérature n’était pas encore marquée par l’écriture, mais s’inscrivait dans une oralité, et donc dans un rapport assez proche de celui qui s’établit entre la scène et la salle, entre le plateau et les sièges des spectateurs.

Les héritiers : la scène contemporaine et les récits

De plus en plus de metteurs en scène montent des œuvres non théâtrales, et cela sans autre adaptation et réécriture qu’un montage de l’œuvre, dont on ne conservera pas l’intégralité, mais dont l’écriture en tant que telle restera, elle, inchangée. C’est naturellement ce que fait Thomas Pondevie dans le cadre de Supernova. Dans une perspective comparatiste, on pourra proposer aux élèves de réfléchir sur d’autres spectacles récents s’inspirant de nouvelles et de romans : Le Grand Meaulnes (et nous l’avons été si peu) mis en scène par Nicolas Laurent et inspiré de l’œuvre d’Alain Fournier, Kafka sur le rivage d’après le texte de Murakami, adapté par Yukio Ninagawa ou bien, en lien avec la nouvelle, le spectacle de Benjamin Lazar à partir de L’Heptameron de Marguerite de Navarre, Heptameron – Récits de la chambre obscure.

Pour conclure sur ces affinités, une citation de Guy Rohou, qui permet en outre de dresser un parallèle avec le théâtre classique :

C’est un des privilèges de la nouvelle que l’être démuni ou étonné y raconte sa vérité. Peut-être parce qu’en peu de pages on ne peut conter l’histoire de beaucoup de personnages. Mais c’est aussi que cette forme littéraire, telle la tragédie classique, a pour objet la résolution d’une crise, la mise en mots d’une aventure ponctuelle, le compte rendu d’un fait, d’un rêve, d’un acte bref.



LA FABRIQUE DE LA SCENE : VARIATION, EVOLUTION ET REFERENCES


La boîte constitue le dispositif scénique dans lequel viennent s’inscrire les différents récits. Elle est alors l’occasion de travailler sur la fabrique du spectacle, tout en s’inscrivant dans un ensemble de référence qui ont peu à peu façonné la scénographie théâtrale, depuis la boîte noire de la scène à l’italienne jusqu’aux tentes des foires dans lesquelles les spectateurs se pressaient pour admirer différentes attractions, cadre dans lequel se déploiera initialement le cinéma. La modularité que permet la boîte à récit, tout comme son fonctionnement, sont donc l’occasion pour les élèves de réfléchir à la façon dont s’élabore un espace, comment il fonctionne, et quels sont les procédés qui viennent, d’une façon ou d’une autre, orienter notre regard, le construire.


Après le spectacle


Comprendre les références

Proposer aux élèves de faire des recherches documentaires sur l’univers des foires, du cirque, et des attractions à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème.

On pourra notamment s’appuyer sur le cas : des spectacles de Barnum et du grotesque aux États-Unis, sur les expositions coloniales en France, et tous les phénomènes d’exhibition dans un cadre public.

Analyser les espaces et leur fonctionnement

Montrer aux élèves des images renvoyant à l’évolution de la scène au fur et à mesure du spectacle . Que leur évoque cette boîte noire qu’ils sont amenés à investir par leur déambulation, et qui peut venir prendre place dans des lieux variés ? Quelle est la dynamique mise en place dans les différents récits ? Comment fonctionne-t-elle comme une entrée progressive non seulement dans le spectacle, mais dans le dispositif scénique lui-même ? Comment s’organisent les différents espaces : dans la profondeur ? Dans la largeur ? Qu’est-ce qui nous est montré, et qu’est-ce qui est caché ?


Pour aller plus loin


Théâtre in situ et déambulation

Le dispositif scénique renvoie, par son esthétique, à des formes de théâtre pouvant se déplacer facilement pour être jouées in situ, c’est-à-dire dans des endroits qui, initialement, n’étaient pas prévus pour le théâtre. Il ne s’agit donc pas uniquement de faire, pour reprendre la célèbre formule d’Antoine Vitez, « théâtre de tout », mais aussi « théâtre partout ». Une pratique qui renvoie dans l’histoire du théâtre aux formes itinérantes, à une époque où il n’existait pas toujours de lieux spécifiques pour faire du théâtre. C’est le cas par exemple du XVIIème siècle où les salles employées sont des jeux de paume, et où l’édification de lieux dédiés va se faire progressivement, soit par l’aménagement des salles, soit par la construction de nouveaux lieux. Ce n’est qu’à partir du 18ème siècle que le modèle des salles à l’italienne va commencer à se généraliser.

Mais il n’y a pas que le théâtre qui se déplace : les spectateurs aussi. Le déroulement du spectacle se trouve ainsi lié aux déplacements des spectateurs d’un espace à l’autre, à travers des couloirs : une déambulation qui renvoie alors à celle que pouvaient faire les visiteurs des théâtres forains, organisés par baraques.


Les références : foire, cirque et castelet

La principale référence est bien l’univers de la foire, du cirque, non pas tel que nous l’envisageons aujourd’hui, mais tel qu’il s’est développé au XIXème siècle. Il s’agit en effet de proposer une « boîte à récits », qui convoque l’univers des entre-sorts forains et des spectacles de prestidigitateurs, en même temps que l’utilisation du tulle pour masquer ou révéler des espaces était souvent faites pour soutenir des représentations spectaculaires, fantastiques ou merveilleuses (comme les féeries) dans les théâtres de la fin du XIXème siècle. On soulignera en particulier la façon dont le dispositif mis en place dans Supernova, par son fonctionnement, renvoie en particulier à ce que l’on appelle les « entresort » : comme l’indique le nom, il s’agit d’une attraction où le public entre par un endroit et sort par un autre, particulièrement utilisé pour montrer les « monstres ». Mais la forme même adoptée par cette boîte à récit, avec son rideau et son titre éclairé, renvoie aussi au castelet du théâtre de marionnette. Ce sont donc tous ces spectacles, souvent oubliés quand on aborde l’histoire du théâtre, mais qui ont pourtant influencé bien des théories et des pratiques, textuelles ou scéniques – que l’on songe par exemple aux écrits de Kleist sur le théâtre de marionnette et à Ubu Roi d’Alfred Jarry, ou au dispositif de dévoilement progressif sur lequel se fonde La Sonate des spectres de Strindberg. Il est aussi possible de faire le lien avec le spectacle Balagan de Glock, mis en scène par Meyerhold, metteur en scène russe du début du XXème siècle qui a considérablement influencé des metteurs en scène comme Vitez. Le balagan est en effet une baraque de foire, et sa convocation par Meyerhold s’inscrit dans la valorisation de ce qu’il appelle le « cabotin », un comédien travaillant à la fois par le corps et la voix en assumant pleinement la théâtralité, loin des démarches réalistes contemporaines de Stanislavski. Comme l’écrit Meyerhold dans « les lois du théâtre », un texte de 1914 :

« Au théâtre, il ne faut pas imiter la vie, parce que la vie au théâtre, tout comme la vie sur un tableau, est particulière, située sur un plan autre que la vie quotidienne.

Au théâtre, point n’est besoin d’imiter la vie en s’efforçant de copier son enveloppe formelle, parce que le théâtre poss-des ses moyens propres d’expression, qui sont théâtraux, parce que le théâtre dispose d’une langue propre, compréhensible à tous et qui lui permet de s’adresser au public. »

Cet univers forain, circassien, continue d’ailleurs de nourrir de nombreuses œuvres, en particulier cinématographiques, qui pourront être convoquées dans le cadre du cours :

- Freaks de Todd Browning
- L’Imaginarium de Dr Parnassus de Terry Gilliam
- Les Enfants du paradis de Marcel Carné, notamment le début, avec par exemple la foire dans laquelle travaille le personnage de Garance et l’entresort qui lui est dédié.


Les espèces d’espaces et leur fonctionnement dans la pièce

Première nouvelle 


La scénographie joue en particulier sur les effets permis par l’emploi d’un tulle qui, selon l’éclairage qui en est fait, le rend opaque ou au contraire transparent. On a ainsi un dévoilement progressif de la profondeur réelle de la boîte noire, avec en outre la création d’un effet miroir, quand l’image du comédien assis sur son tabouret se trouve redoublé. La présence de mots dans le décor convoque plusieurs références : les textes insérés dans les séries pour indiquer un lieu ; les titulae de certaines formes théâtrales passées, où, faute de décor, on trouvait simplement des panneaux indiquant l’endroit où était supposée se passer l’action. Mais ces lettres correspondent aussi à l’envie de « Faire voir sans rien montrer » : ce qui est matérialisé ici visuellement, ce ne sont justement que des mots, c’est-à-dire les signes composant ce que nous entendons pendant le spectacle. Des mots qui viendront ensuite servir à construire l’image finale, celle de l’homme faisant du feu, les lettres se trouvant empilées comme des bûches.

Deuxième nouvelle

La seconde nouvelle fait de manière explicite référence à l’univers des foires. Ce qui était suggéré au départ, notamment par l’annonce du bonimenteur, devient maintenant très clair. Mais alors que le dispositif de la première nouvelle jouait sur une sorte d’avancée dans l’espace, donc sur la profondeur, cette seconde nouvelle est avant tout l’occasion de travailler sur l’espace du public et la juxtaposition. Alors que l’espace central est masqué tout en nous suggérant, par la présence de la main pointant son index sur l’interstice des rideaux, que ce qu’il y a à voir se trouve derrière, cette tension entre le visible et l’invisible, entre l’intérieur et l’extérieur, se trouve reprise sur le t-shirt du comédien, vêtement couvrant tout en exhibant les os, donc ce qui normalement est caché, et par la proximité entre l’artiste de la faim et le rideau. Comme si, en les posant côte à côte, le metteur en scène nous donnait le sentiment de voir en même temps l’intérieur et l’extérieur. On remarquera enfin que l’espace diégétique de la nouvelle, donc de la fiction, se trouve ici suggéré par le son : la bande-son vient alors créer un espace, l’occasion de voir, après les lettres, une autre façon de faire voir sans montrer, en jouant non plus sur les signes en eux-mêmes, mais sur l’écoute.

Troisième nouvelle

La transition d’un espace à l’autre se fait non seulement par la déambulation du public, mais par la découverte de ce qu’il y a derrière le rideau, qui constituait un mystère pendant toute la durée de la seconde nouvelle. La réduction du cadre de la scène, la comédienne venant relever les panneaux, donne alors des allures de cinémascope à l’image scénique ainsi construite, comme si l’on retrouvait les deux bandes noires caractéristiques de ce format. Une façon de souligner que nous sommes passés du public de la foire à un public de cinéma, mais que le public réel correspond aussi au public évoqué dans la nouvelle. La présence du fusil peut d’ailleurs être envisagée comme une référence au « fusil de Tchekhov », principe d’écriture scénaristique très présent dans l’univers du cinéma qui veut que s’il y a un fusil au premier acte, celui-ci doit avoir servi avant la fin de la pièce. Notre attente redouble alors celle de la foule contemplant l’officier.

 

Avant le spectacle

testez vos connaissances

Chapitre 1 | La nouvelle

Connaître un genre littéraire et son histoire


Le spectacle Supernova s’empare de trois textes appartenant au genre de la "nouvelle" :

- Construire un feu de Jack London
- Un artiste de la faim de Franz Kafka 
- Comment j’ai tué un éléphant de Georges Orwell
 
Le quizz qui suit va vous permettre de faire un premier tour d'horizon de ce genre littéraire !

C'est quoi ? C'est quand ? C'est qui ? C'est où ? Vous serez bientôt incollables.

 

 

 

 

 

 

 

Après le spectacle

testez vos connaissances

Chapitre 2 | Théâtre et récit

Comprendre ce qui les rapproche


Par sa longueur réduite, par le point de vue qu'elle adopte sur le monde, par la volonté de partager des histoires courtes et frappantes, la nouvelle présente des possibilités nombreuses dans le cadre d'un spectacle de théâtre ! 

Le quizz qui va suivre va vous permettre de prendre la mesure de la proximité entre théâtre et récit à travers leurs histoires respectives. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Chapitre 3 | Supernova, le récit en scène

Comprendre la fabrique du spectacle et son esthétique


Vous avez maintenant découvert le spectacle "Supernova" du metteur en scène Thomas Pondevie. Il est temps maintenant de faire un tour de ce que vous avez vu, entendu, découvert : sur votre expérience de spectateur ! 

C'est ce que va permettre le quizz ci-dessous : London, Orwell, Kafka, l'espace, les costumes, les comédiens... Vous saurez tout sur ce qu'est "Supernova" dans quelques instants... 






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