AUSTERLITZ
Gaëlle Bourges
La chorégraphe Gaëlle Bourges, prête à toutes les audaces, s’inspire du livre Austerlitz, de l’auteur allemand W. G. Sebald, et de l’errance de son personnage central, à qui la mémoire revient par glissements et rencontres fortuites. En laissant le passé réapparaître, peut-on mesurer la cohérence d’un présent, ou son incohérence ?
Austerlitz est le titre d’un roman de W.G. Sebald. Orné d’une photographie d’enfant costumé en petit prince angélique, Austerlitz est un roman de la remémoration. Un récit dans le récit, sous la conduite d’un narrateur qui, s’exprimant à la première personne, nous entraîne à la rencontre de l’énigmatique Jacques Austerlitz, personnage en proie à l’angoisse et à l’amnésie dont on suit l’errance dans le passé et dans la mémoire trouée. Pourtant, si elle reprend le titre du dernier roman de l’auteur allemand, ce n’est pas à une adaptation scénique de celui-ci que se livre Gaelle Bourges, mais plutôt à une forme d’autobiographie digressive qui emprunterait sa forme à Sebald et finirait par le rejoindre. Prenant donc appui sur Austerlitz, plutôt qu’elle ne le met en scène, elle mène son propre récit. Tout comme Sebald, elle ouvre l’album photo et raconte.
Et ce qu’elle raconte c’est l’histoire des interprètes présents face à nous sur le plateau, tirant le fil de liens noués dans le passé et qui les unissent encore aujourd’hui. Comme dans ses précédents spectacles, Austerlitz associe une voix off et des séquences dansées, rythmées cette fois par des images projetées. Le passé, la mémoire et l’histoire (celle avec un H mais aussi l’histoire de la danse et les histoires intimes), ainsi que les traces du passé dans le présent, les lieux, sont au cœur du roman comme de ce spectacle qui affiche une atmosphère de mélancolie — un ton qui n’est pas habituel chez la chorégraphe. L’album de photos s’apparente ici à une boîte de Pandore : chaque nouvelle image ouvre sur une succession de récits.
Paru en Allemagne à titre posthume, en 2001, et traduit en 2003 en français, Austerlitz est l’ultime roman de W.G. Sebald. Écrit d’un seul bloc, sans chapitres ni même paragraphes, ce roman d’apparence austère, nous conduit dans une sorte d’errance dans le temps et dans l’espace à travers la mémoire de l’Europe, sur les traces d’un certain Jacques Austerlitz, un homme rendu malade par le mystère de ses origines, dont Sebald dresse une sorte de portrait en forme de puzzle aux pièces éparses.
Aux premières discussions entre le narrateur et Austerlitz, dans la gare d’Anvers, sur l’architecture et les plans des constructions militaires en étoile, feront plus tard écho les passages sur Theresienstadt, ancienne ville garnison transformée en camp de concentration par les nazis où Austerlitz se rendra sur les traces de sa mère déportée. Entre leurs premières rencontres et les suivantes, plus de vingt ans s’écoulent durant lesquels Austerlitz découvre qu’il a fait partie d’un des derniers convois d’enfants juifs entre Prague et Londres, affrétés par la Croix-Rouge en 1941.
De digression en association, d’hypothèses en fantasmes, le récit suit les méandres obscurs empruntés par la mémoire et l’esprit humains. Adoptant plus ou moins la forme de l’enquête, à la manière d’un roman policier, le roman tente d’extirper de l’oubli l’histoire du personnage éponyme et de celle de ses parents disparus, sans y parvenir tout à fait. C’est un roman gris cendre, hanté par les fantômes de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah.
La présence de nombreuses photos insérées dans le texte nous questionne sur la nature de ce que nous sommes en train de lire. La mauvaise qualité des photos suggère l’effacement par l’effet du temps. Document historique ou fiction ? c’est l’une des premières questions qui assaillent le lecteur d’Austerlitz.
La question de la vérité et de sa fabrication, le rapport au réel et sa représentation, sous-tendent toute l’œuvre de Sebald, particulièrement dans Austerlitz et notamment dans le passage où il évoque la fiction mise en place par les nazis à Terezin où tout avait été réparé, repeint et décoré de frais, et les plus mal portants des internés déportés vers l’est, pour berner les inspecteurs de la Croix-Rouge. Les nazis ont tourné un film de propagande à Terezin qu’Austerlitz se repasse en boucle pour tenter d’y découvrir une image de sa mère. Camp Potemkine (décor en trompe-l’œil fabriqué à des fins de propagande, en référence aux villages Potempkine arrangé pour masquer la pauvreté des campagnes sous Catherine II de Russie), Terezin est l’un de ces lieux où la question du rapport au réel se pose de manière tragique.
>> La cause littéraire : traces de la shoah et traque des origines dans le roman Austerlitz de Wg Sebald
Né en Allemagne, en Bavière, en 1944, sous les bombardements, il est hanté par le drame de la Seconde Guerre mondiale et par le silence qui entoure cette histoire dans sa famille et dans la société allemande. Son père était officier et admirateur d’Hitler. Sebald s’exile en Angleterre en 1966 : il enseigne à l’université et écrit des livres en parallèle. Il écrit ses livres dans sa langue natale, l’allemand. Mais il renie son prénom Winfried Georg, qu’il juge « trop nazi », et signe son œuvre des initiales W.G. Pour ses amis ce sera Max. Il meurt à l’âge de 57 ans dans un accident de voiture.
Le passé, la guerre, la mémoire, l’extermination des juifs, l’exil, la perte des êtres chers mais aussi l’enfance… sont des thèmes qui traversent toute son œuvre. Les idées noires tourmentent ses personnages. Dans pratiquement chacun de ses livres, un narrateur qui ressemble à l'auteur part en quête du passé dans le paysage du temps présent. Ses personnages sont des chercheurs de traces, ses livres s’apparentent à des enquêtes où l’insertion de photos vient brouiller les pistes entre document et fiction. Sebald se plaît à entretenir la confusion d’autant que les images insérées, d’une qualité délibérément médiocre, forcent le regard du lecteur et suscitent le doute.
Podcast : France Culture - une vie une oeuvre - W.G Sebald
Danseuse, autrice, chorégraphe et metteuse en scène, Gaëlle Bourges aime à chercher ce qui se trame dans l’envers de la représentation. Que ce soit dans les tapisseries médiévales de la Dame à la licorne ou dans l’Olympia, la célèbre peinture d’Edouard Manet, accrochée au musée d’Orsay, elle questionne ce qui se cache derrière la représentation du corps féminin à travers l’histoire de l’art.
Ses spectacles associent généralement une voix off, la sienne, de la danse ou des actions scéniques pour mener une forme d’enquête. Ses spectacles sont une invitation à regarder au-delà de ce qui est montré, sous le vernis ; elle cherche à nous rendre curieux.se. Elle lève le voile, s’attache aux détails, à ce qui n’est pas dit dans les livres d’histoire. Elle a créé un spectacle sur la tapisserie de l’Apocalypse intitulé Ce que tu vois. Ainsi dans La bande à Laura, elle s’attache au personnage oublié de l’histoire de l’art, la femme noire qui a servi de modèle à la servante de l’Olympia.
Universitaire, Gaëlle Bourges a le goût de la recherche mais aussi beaucoup d’humour, ses spectacles traduisent une curiosité joyeuse. Ils sont construits sur le principe d’une boîte de Pandore où on va de découverte en découverte, ils nous rendent plus intelligent.e.s mais aussi plus critiques. Elle propose une danse qui donne à penser.
« Et ne serait-il pas pensable, poursuivit Austerlitz, que nous ayons aussi des rendez-vous dans le passé, dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, et que nous allions retrouver des lieux et des personnes qui, au-delà du temps, d’une certaine manière, gardent un lien avec nous ? »
Extraite du roman de Sebald, cette phrase semble avoir servi de boussole à Gaëlle Bourges qui prolonge en quelque sorte les questionnements du personnage d’Austerlitz sur les effets de la mémoire au présent, à travers un projet de biographie collective où les événements intimes qui émaillent la vie des personnes rassemblées sur le plateau rencontrent l’Histoire, dont l’une lui offre le roman de Sebald. D’autres génocides traversent le texte de Gaëlle Bourges, la colonisation, la seconde guerre mondiale mais aussi la post modern dance américaine, Agnès Varda, Aby Warburg… Avec Sebald elle partage le rapport au passé, à l’histoire, aux traces, à ce qui n’est pas dit.
Amnésie collective :
A travers la figure de Jacques Austerlitz, Sebald pose la question de notre rapport au passé et à la mémoire, notre tendance à l’amnésie. Il pose comme fondamentale la connaissance et la compréhension du passé pour transformer le présent. Il cite dans Austerlitz cette phrase du philosophe allemand Walter Benjamin: « l’ange de l’histoire qui est poussé par le vent, ailes déployées, face au passé, tournant le dos à l’avenir, qui recèle et qui découvre un paysage de ruines ».
Prenant appui sur le roman de W.G. Sebald, Austerlitz, dont elle emprunte le titre, la chorégraphe Gaëlle Bourges déroule une forme de biographie collective, dont elle est à la fois narratrice, personnage et interprète, comme si elle feuilletait un album de photos en compagnie du public. Fidèle à la forme de ses précédents spectacles, elle associe une voix off, la sienne, qui livre un récit à la 1ère personne, à l’action scénique. Une 3e dimension, propre à ce spectacle, s’ajoute ici : les photographies projetées. Le spectacle pourrait s’apparenter à une soirée diapo commentée et augmentée de parties dansées. Chaque dimension répondant aux autres ; les images, le commentaire et la danse dialoguent et se répondent. Les spectateur.ice.s comprennent au bout d’un moment que les photos et les histoires sont celles des sept interprètes présent.e.s sur scène. Il s’agit d’un regard rétrospectif sur le parcours des personnages. Une certaine mélancolie se dégage du sujet (le passé enfui) et du ton de la narration, renforcée par le côté album de photos.
Il ne s’agit pas d’une adaptation mais plutôt d’un spectacle « à la manière de » Sebald, où la danse vient raviver, au sens littéral de rendre vie, la mémoire enfouie, le passé. Comme dans le roman, la chorégraphe associe photos et texte pour établir un portrait, à la fois intime et historique d’une époque à travers sept personnages et les liens qui les unissent. Là où le roman se concentre sur un seul personnage, elle en évoque sept, elle-même et la bande de ses fidèles interprètes. Elle emprunte la forme digressive du roman qui fonctionne par associations et réminiscence subjectives. Comme pour Sebald, la plume de Gaëlle Bourges semble se laisser conduire par le vagabondage de son esprit d’où un apparent coq-à-l’âne, ce qui n’empêche pas une narration très construite. La forme collective invite aussi, par ricochet, le la spectateur.ice. à regarder dans son propre passé et dans son rapport à l’Histoire. Quels liens secrets unissent les interprètes et nous unissent les un.e.s aux autres ?
Emaillé de très nombreuses références, le texte avance par boucles successives et par résonnances souterraines qui se font écho et s’interpénètrent, parfois de manière rapprochée mais aussi très lointaine : ainsi, la banlieue est reliée à Agnès Varda ; la danse aux Indiens d’Amérique. Par exemple, l’exercice de danse qui s’appelle « Déportés » fait immanquablement écho à la déportation des tsiganes qui fait écho à la déportation des Juifs au cœur du roman de Sebald. D’ailleurs, les ateliers de « déportés » ont lieu à Micadanses, studio qui se trouve juste à côté du Mémorial de la Shoah : parfois les localisations sont elles-mêmes éloquentes. L’histoire de la danse croise l’histoire de l’Europe, les lieux font écho aux événements. Gaëlle Bourges dont le terrain de prédilection est l’histoire de l’art s’aventure cette fois dans l’histoire de la danse et dans l’Histoire avec un grand H.
Comment apparaissent les images et les danseurs dans l’espace ? Quel est le rapport d’échelle ? L’image est-elle projetée en grand ? Les personnages sont-ils proches de nous ? Quelle lumière éclaire ce que l’on voit ? Quelle est la « couleur » générale du spectacle ?
Quel effet produit le tulle entre scène et salle ? Le dispositif entraîne un certain brouillage de la vue, un certain floutage, on ne voit pas bien, les danseurs paraissent loin, on ne voit pas leurs visages. Aussi, ils offrent une présence fantomatique, ils sont comme des visions surgies du passé faisant écho aux revenants dont il est question dans le commentaire. La couleur grise cendre de la lumière et le floutage dû au tulle semble remettre en question le statut d’archives de la photo : quelle est la réalité de ce que l’on voit ? Ainsi, dans le roman, les photographies sont de piètre qualité et l’on s’interroge sans cesse à la lecture sur ce que l’on voit. La dimension du rêve revient à plusieurs reprises dans le commentaire.
Notez que les costumes des interprètes sur scène sont inspirés des costumes qu’ils portent sur les photos emblématiques où ils apparaissent.
Présence de la photo, danser l’archive, questionner la vérité :
A la photo de Jacques Austerlitz enfant qui orne la couverture du livre de Sebald (en réalité une photo de Sebald lui-même) fait écho celle de Marco, en petit ménestrel, à la moitié du spectacle. L’un comme l’autre nous regarde droit dans les yeux. « Après le rêve, je rachetais le livre de Sebald et tombais sur la photo de la couverture : un enfant en costume de petit page blanc. Tout s’éclaircissait : c’étaient les enfants qui revenaient par les photos. Et depuis le passé, ils demandaient leur dû aux grands ». Tout comme la photo de Gaëlle Bourges dansant en pyjama avec un baigneur regarde aujourd’hui l’artiste qu’elle est devenue. Les photos semblent souvent corroborer les faits, mais ont-elles toujours valeur d’archive ?
« Dire toute la vérité, mais la dire oblique » (Tell all the truth but tell it slant), c’est le titre d’un vers de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) que cite G. Bourges et auquel semblent répondre plus loin ces mots de Neige Sinno dans le roman Triste tigre également cités dans le spectacle, (autrice qui vient d’obtenir le Prix fémina et le Goncourt des lycéens) : « Pourtant la vérité n’est pas dans le langage. Elle est nulle part. C’est un ordre des choses où on dit autre chose que ce qu’on dit. Où il est naturel que ce qui est dit renvoie à un ailleurs, à une ombre du langage où la vérité attend sans pouvoir jamais être dite. » Cette ombre du langage semble faire écho à la pénombre qui baigne la scène.
Comme Sebald, Gaëlle Bourges est attachée à la narration. Elle aime raconter des histoires ; c’est une conteuse, son ton est travaillé pour aiguiser notre curiosité. Férue d’histoire de l’art, elle aime mener l’enquête, tisser des liens par les détails. Tous ses spectacles ou presque naissent de documents ayant traits à l’histoire de l’art.
Souvent portée sur la représentation des corps dans l’histoire de l’art, des corps féminins en particulier, elle se penche cette fois plus directement sur l’histoire de la danse par le biais de la danse contact, discipline d’improvisation que pratiquèrent certain.e.s de ses condisciples et initiée par le danseur Steve Paxton au début des années 70. Cette référence l’a conduit à évoquer la danse post-moderne et le mouvement lié aux Etats-Unis à la Judson church, repaire de frondeur.euse.s et haut lieu du renouveau en danse.
Gaëlle Bourges ne fait pourtant pas étalage de ses connaissances, elle œuvre en pédagogue, elle veille à nous transmettre une histoire où toutes les références sont explicitées.
La Judson church, à New York, une église devenue dans les années 60 la Judson dance theater : haut lieu de l’expérimentation en danse auquel est attaché tous celles et ceux que les USA comptent comme chorégraphes et artistes contestataires : Robert Dunn, Trisha Brown, Lucinda Childs, David Gordon, Simone Forti, Deborah Hay, Steve Paxton, Yvonne Rainer. Ils dénoncent la recherche la virtuosité, les formes reproductibles, la hiérarchie danseur-chorégraphe et prônent l’expérience de soi, le processus, le quotidien…
Article Le Monde - collectif contestataire de Judson Church
Thoreau (Henry David) est un poète et philosophe américain du XIXe siècle, surtout connu pour son texte Walden écrit lors d’une retraite dans une cabane dans les bois où il évoque la vie simple au contact de la nature et réfléchit à l’économie. Ecologiste avant l’heure, antiesclavagiste, il dénonce le pillage des ressources naturelles et prône la vie simple, en apôtre de la décroissance. Une référence qui revient en force ces dix dernières années.
Emily Dickinson, poétesse américaine née dans un milieu ultra-puritain dans les années 1830, dans le Massachusetts, aux Etats-Unis. Une « hikikomori » avant l’heure, en rébellion contre les dogmes de son époque et de son milieu, E. Dickinson a passé près de 30 ans de sa vie enfermée dans sa maison, puis dans sa chambre, et a consacré toute sa vie à son œuvre. Hautement novatrice, cette œuvre poétique n’a été découverte qu’après sa mort.
Buffalo Bill le stetson d’une jeune femme en photo devant la maison d’Emily Dickinson renvoie Gaëlle Bourges au chapeau de Buffalo Bill. Il fut le créateur du Wild West Show, spectacle où jouaient de vrais Indiens et qui élève au rang de mythe et idéalise la conquête de l’ouest en réécrivant l’histoire, notamment le massacre de Wounded Knee, en 1890, où environ 300 personnes désarmées, dont une cinquantaine de femmes et enfants, furent assassinés par la cavalerie.
Gaëlle Bourges cite le romancier Eric Vuillard, un autre passionné d’archives, qui dans Tristesse de la terre écrit : « à la fin du show, les faux morts se relevaient et s’époussetaient. Ils allaient ensuite vendre les produits dérivés de leur génocide dans les stands d’artisanat indien. »
Ceija Stojka
Au génocide des Amérindiens, fait écho celui des Tsiganes, que Gaëlle Bourges évoque à travers la figure de l’artiste et écrivaine rom Ceija Stojka et l’évocation du petit cirque tsigane installé derrière la gare d’Austerlitz sur le terrain où fut construit la TGB, la Bibliothèque François Mitterrand, et où furent stockés durant la guerre tous les biens spoliés aux Juifs. Gaëlle Bourges met ainsi en écho le génocide des juifs, motif obsessionnel de l’œuvre de Sebald, et d’autres génocides comme celui des Tsiganes et des Amérindiens. Femme rom originaire d’Autriche et survivante d’Auschwitz, Ceija Stojka s’est mise à peindre et à écrire sur la déportation 40 ans après les faits. Une exposition lui a été consacrée.
D’autres figures de l’art et de la danse :
Vaslav Nijinski (1889 – 1950) danseur russe prodige mondialement admiré, il est à l’origine du succès des Ballets russes. Il fait scandale avec son Après-midi d’un faune qui prend à rebrousse-poil tous les codes chorégraphiques de l’époque. Frappé de troubles psychiatriques, il est interné à plusieurs reprises, durant les 30 dernières années de sa vie, ce qu’il raconte dans son Journal.
Loïe Fuller, 1862-1928, pionnière américaine de la danse moderne, célèbre pour ses danses serpentines où elle fait tournoyer des voiles dans des mouvements éclairs dument éclairés. Loïe Fuller fera une apparition dans le Wild west show de Buffalo Bill.
Aby Warburg (1866 – 1929) historien de l’art allemand, Aby Warburg est connu pour avoir constitué une des plus vastes collections d’ouvrages jamais réunis dans une bibliothèque privée plutôt que de prendre la tête de la banque familiale, comme le prédestinait sa place d’aîné. Transférée à Londres au moment de la Seconde guerre mondiale, elle est devenue le Warburg institut et se visite. Warburg est également connu pour avoir posé les bases d’une forme de savoir sur les images et par les images : l'iconologie. Warburg travaillait sur les paradoxes constitutifs de l’image elle-même : sa nature de fantôme et sa capacité à faire revenir le passé dans le présent. Il sombre dans la folie au lendemain de la Première Guerre mondiale et est interné de 1918 à 1924. Gaëlle Bourges nous fait remarquer qu’il sera interné dans la même clinique que Nijinski et soigné par le même psychiatre et met en résonnance sa conférence sur le rituel du serpent des Indiens hopis avec les danses serpentines de sa contemporaine Loïe Fuller.
Cinéma :
Après Agnès Varda et son film Le Bonheur tourné dans la banlieue sud de Paris, Gaëlle Bourges cite Ozu, maître de référence du cinéma classique japonais et Chris Marker, grand documentariste dont les films à partir des années 1960 (sur le Vietnam, sur les guerres décoloniales et sur les grèves ouvrières…) sont marqués par son engagement à gauche.
Directement et indirectement, à travers le parcours des interprètes, le spectacle évoque l’histoire de l’Europe des 60 dernières années :
Les grand-parents qui ont vécu à Berlin Ouest et ont vu le spectacle Mère courage de Bertolt Brecht. Mère pied-noir qui a vécu en Algérie… le grand-père de Pauline qui a fait la guerre d’Indochine…
Incarnée par la figure d’Aby Warburg et ses recherches autour de l’image, la thématique de l’image fantôme est l’une des questions récurrentes du spectacle de Gaëlle Bourges. Aux images d’enfants, (la photo de GB avec le baigneur, de Marco en petit ménestrel et d’Austerlitz en page) à travers le motif de l’enfant costumé que l’on retrouve dans tous les albums de famille, répondent « les photos de maisons qui une fois vides des gens qu’on a connu peuvent ressembler à des tombes » ou les maisons qu’on ne connait que de l’extérieur devant lesquelles on passe tous les jours, enfants, sur le chemin de l’école…
Aux souvenirs répondent aussi les rêves et inversement.
A la vignette précédente, GB évoque un rêve où sa mère lui dit « tu ne feras pas Austerlitz », en se réveillant elle se souvient d’un livre que lui a offert Alice. Le Rapport à l’image, au souvenir et au passé se trouve condensé dans ce passage. Citant un passage du livre, Gaëlle Bourges résume le roman de Sebald et y livre la clé de son titre.
« Jacques regarde l’image encore et encore, mais tout en lui est effacé. Lui revient vaguement un tableau vivant avec la reine des roses et un petit garçon à ses côtés. Il examine chaque détail sous le verre grossissant sans jamais découvrir le moindre indice. Toujours il se sent percé par le regard interrogateur du petit page. C’est comme s’il venait réclamer son dû. À présent, dans la grisaille du matin, sur ce champ vide, l’enfant attendait qu’il conjure le malheur qui allait fondre sur lui. » Jacques ne reconnaît pas l’enfant, mais il reconnaît sa nourrice. Ses mains surtout. Et il comprend la langue qu’elle parle, le tchèque, malgré le temps. Devenu adulte, Jacques a erré de ville en ville, comme un revenant, cherchant à tâtons un passé dont il ignore tout. Il est d’une famille juive de Prague et il porte le nom de sa mère – le nom d’un village de Moravie, en Tchéquie aujourd’hui, où la célèbre bataille napoléonienne a eu lieu. En 1939, elle met Jacques à bord d’un des rares transports d’enfants à destination de Londres pour le sauver. Il a cinq ans. Ses parents adoptifs anglais ne lui diront jamais rien de son passé. Cinquante ans après, Jacques Austerlitz découvre que sa mère a été déportée dans le camp de concentration de Theresienstadt. Et il trouve les dernières traces de son père dans le 13e arrondissement, à Paris. Austerlitz passe des heures à consulter des documents à la Grande Bibliothèque. »
Gaëlle Bourges boucle la boucle en écho à Emily Dickinson et à sa citation sur la vérité :
« Le livre de Sebald est une fiction, mais la fiction est une façon de dire la vérité sans qu’elle ne nous submerge d’un coup… Les spectacles comme les livres sont des fictions aussi. »
Ultime boucle, la dernière phrase du spectacle reprends ses mots sur Le Bonheur d’Agnès Varda et nous laisse avec un sujet à méditer :
« Il ne faut pas se fier au titre, parce que le film montre le bonheur comme il est le plus souvent : jamais constant. Avec des trous ; et de la mort dedans »
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