D'autres mondes
Frédéric Sonntag
Après B. Traven, Frédéric Sonntag s’intéresse aux mondes parallèles et aux univers multiples pour cette nouvelle création. Une exploration troublante et captivante.
Au début des années 60, un jeune physicien français au génie précoce et un auteur de science-fiction soviétique travaillent sans le savoir sur le même concept : l’existence d’univers parallèles. Cinquante ans plus tard, leurs enfants sont chacun hantés par l’héritage paternel et confrontés au même moment à des d’étranges événement. Sept acteurs et deux musiciens nous invitent à sonder l’importance de la mémoire et de l’imaginaire. Et si la croyance dans la pluralité des mondes possibles reflétait le désir de s’inventer des ailleurs ? Une plongée dans les univers multiples et les mondes parallèles !
De physique quantique.
- ?
Eh oui. Et là, peut-être vous retrouvez vous à vous demander, tel Géronte, ce que « vous allez faire dans cette galère ». Rassurez-vous, si la physique quantique peut effrayer, elle est aussi profondément inspirante. Elle l’a été dans des œuvres passées, elle le demeure aujourd’hui, notamment à travers l’idée des mondes parallèles. C’est à cette inspiration que vient puiser Frédéric Sonntag pour nous confronter aussi bien à des personnages historiques qu’à des être imaginaires, dont nous suivons les évolutions et les circonvolutions d’un monde à l’autre.
C’est donc l’histoire de deux pères, l’un scientifique, l’autre romancier, Jean-Yves Blanchot et Alexei Zinoviev, et de leurs deux enfants, Anthony Blanchot, leader d’un groupe de rock, et Anna Zinoviev, futurologue, ou plutôt leurs histoires, puisqu’elles sont appréhendées à deux fois, dans deux univers parallèles.
La physique quantique, par sa complexité même et ses enjeux philosophiques, n’est pas un domaine grand public, loin de là. Pourtant, il est peu d’avancées scientifiques qui aient autant nourri la fiction, notamment à travers l’idée des mondes parallèles.
Cette idée, les élèves l’ont forcément rencontrée un jour ou l’autre, que ce soit dans des œuvres spécifiques, ou bien tout simplement en jouant à ce jeu du « et si ? » : cela peut aller du plus prosaïque « et si ce matin-là je ne m’étais pas réveillé ? » au plus métaphysique « et si je n’étais pas né ? » mais cette idée d’univers alternatif est désormais un lieu commun des univers de fiction – Frédéric Sonntag va jusqu’à en parler comme d’une « mythologie de la culture pop ».Cette idée de mondes alternatifs peut s’appréhender jusque dans une expérience aussi anodine que de reprendre une ancienne sauvegarde de jeu vidéo pour essayer de le finir autrement, par un chemin distinct.
A la différence des pièces classiques, qui obéissent à une logique de continuité d’une scène à l’autre, d’un acte à l’autre, le spectacle se déploie à travers des fragments qui appartiennent non seulement à des temporalités différentes mais aussi à des univers différents. On est donc beaucoup moins dans une logique qui serait celle de la mise en intrigue chronologique, et beaucoup plus dans celle d’un montage – voire d’un collage. Il est alors important pour les élèves de rentrer dans cette logique différente, de l’accepter, et de se montrer attentif en particulier au jeu des répétitions et des variations, et notamment à la façon dont s’établissent un certain nombre de parallélismes : entre les enfants et les parents, entre la fiction et la science, entre les trajectoires des deux pères, le présent et le futur..
Hugh Everett et Philippe K. Dick:
Jean-Yves Blanchot et Alexei Zinoviev sont très profondément inspirés d’Hugh Everett, physicien quantique qui formula notamment la théorie des mondes-multiples, et de Philip K. Dick, auteur américain de science-fiction dont les œuvres exploitent souvent ce thème des univers alternatifs, en particulier dans Le Maître du haut château – uchronie où les nazis ont gagné la seconde guerre mondiale – et L’œil dans le ciel (Les mondes divergents dans la première traduction française) où un accident lors d’une expérience scientifique conduit à la création d’univers parallèles liés à la psyché des personnes impliquées dans celui-ci.
L’émission Apostrophe :
Les « deux pères », le présent et le futur connaîtront, tous les deux un passage dans l’émission Apostrophe, présente comme marqueur temporel.
On pourra à cet égard prendre appui sur un certain nombre d’archives pour donner aux élèves un aperçu de l’ambiance de cette émission :
- Dispute entre Gainsbourg et Guy Béart
- La venue de Charles Bukowski ivre mort
- La prise de position de Denise Bombardier devant Matzneff.
- Plus spécifiquement, la pièce de Frédéric Sonntag reprend un événement intervenu dans Apostrophe, celle d’un homme venant interrompre l’émission et menaçant de se tuer.
Alice, le lapin, et Lewis Caroll :
Que ce soit par des allusions directes à l’œuvre de Caroll, ou par le détour d’une chanson, « White Rabbit », Alice au Pays des merveilles constitue une référence importante dans l’œuvre, notamment parce qu’elle introduit dans un univers parallèle, qui a sa propre logique, et qui tisse des liens avec le monde réel. Il est notamment fait référence au commencement de l’œuvre, quand Alice voit passer un lapin blanc extrêmement pressé…
L’expérience du chat de Schrödinger :
Cette célèbre expérience où l’on se demande si le chat, caché dans une boîte, est mort ou vivant, n’a, vous pouvez rassurer (ou décevoir) les élèves, jamais été réalisée. Il s’agit d’une expérience de pensée qui a pour but de donner à comprendre, par une image frappante, l’un des problèmes posés par la théorie quantique, et notamment la possibilité pour un même atome de se retrouver dans deux états a priori opposés. Cette expérience et ses enjeux sont décrits en détail ici.
MODE NARRATIF ET MODE DRAMATIQUE
Pour les élèves, le roman, c’est la narration, et le théâtre, le dialogue. Et la plupart du temps, c’est vrai. Les choses se compliquent cependant dans le théâtre moderne et contemporain. L’écriture théâtrale s’éloigne alors du mode dramatique au sens strict (où l’auteur parle à travers des personnages, avec uniquement des dialogues et des monologues) pour se rapprocher du mode épique (où la narration alterne avec les dialogues).
Il y a donc à la fois une dimension de récit, avec des personnages qui assument une fonction narratrice analogue à celle que l’on peut croiser dans les romans, et une dimension dialoguée, plus attendue au théâtre, où l’on retrouve une dynamique de scène, d’échanges et de répliques. Nous sommes ainsi confrontés dans cette œuvre à ce que des chercheurs comme Jean-Pierre Sarrazac ou Joseph Danan nomment l’« épicisation » du théâtre, et qui renvoie également à ce que Brecht appelle le « théâtre épique », où vont intervenir des personnages qui racontent l’histoire, la commentent, sans y être constamment impliqués.
UN MELANGE DE FORMES POUR UN MELANGE DE MONDES
Outre l’alternance entre narration et dialogue, le spectacle déploie un important travail relevant davantage du collage, en présentant des situations de prise de parole variées, allant des entretiens journalistiques aux conférences scientifiques, en passant par l’utilisation d’extraits de documents présentés comme authentiques, qu’il s’agisse de romans, d’ouvrages scientifiques, ou de biographies analogues à celles que l’on pourrait rencontrer sur Wikipédia.
Ce fourmillement de formes, leurs confrontations et leurs coexistences viennent alors procéder, au plateau, à une mise en évidence de la diversité des paroles possibles au sein des différents médias.
L’étymologie même du théâtre tend à établir un rapport entre la scène et le laboratoire : en effet, theatron, le lieu d’où l’on voit, partage une racine commune, celle de la contemplation, avec des mots comme « théorie ». Mais ce lien va encore plus loin : que ce soit quand des auteurs s’emparent de grandes figures scientifiques, comme La vie de Galilée de Brecht, ou quand ils s’efforcent d’aborder une question scientifique par la voie scénique, comme le font Jean-François Peyret et Alain Prochiantz dans Les Variations Darwin, ou Bruno Latour, Frédérique Aït Touati, Chloé Latour et Pierre Daubigny dans Gaïa Global Circus.
Le théâtre apparaît donc de plus en plus comme un laboratoire qui, pour être distinct de celui des scientifiques, n’en présente pas moins avec lui un certain nombre d’affinités.
Donner à voir, à ressentir, à penser autrement, tout en permettant d’appréhender des questions scientifiques pointues, telle est la voie choisie par de nombreux auteurs, artistes et chercheurs. Inversement, il n’est pas rare de voir des scientifiques aller puiser dans l’univers du spectacle des exemples pour donner à comprendre un point de vue, et cela n’est pas nouveau. C’est ce que fait, au XVIIIe siècle, Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes.
Les mondes parallèles et leurs avatars dans la culture populaire :
La science-fiction est généralement un domaine assez familier aux élèves. Des œuvres classiques, comme celles de Jules Verne, mais aussi Ray Bradbury ou Georges Orwell auront sans doute été vues au cours de leur scolarité, notamment autour des thématiques « inventer des mondes ».
Sur la question plus spécifique des mondes parallèles, on pourra s’appuyer sur :
- Des Comics :
comme toute la série des films Marvel ou DC, et notamment sur la notion des multivers dans les comics américains, qui permettent notamment aux auteurs et aux scénaristes de multiplier les univers avec les mêmes héros mais dans des circonstances différentes. Cela explique, par exemple, qu’un même personnage, celui du Joker dans l’univers de Batman, puisse donner lieu à des visions et à des biographies diverses, entre l’interprétation proposée par Tim Burton dans Batman the movie, celle d’Alan Moore en bande dessinée dans The Killing Joke, et, plus récemment, celle proposée dans le film Joker (2019) de Todd Philipps qui donne une vision plus réaliste et empathique du personnage.
- Des références filmiques :
Comme Inception de Christopher Nolan – un cinéaste qui est notamment très influencé dans son traitement par la théorie des cordes, un autre héritage de la physique quantique qui a influencé de nombreuses œuvres. Le cinéaste fait du principe d’inversion temporelle un objet majeur de son dernier film Tenet. On pourra ajouter aussi une série comme Stranger Things qui joue sur les univers parallèles.
- Des jeux vidéos :
D’abord parce que le principe même des fins alternatives, comme dans les Mass effect, met en place un principe de rejouabilité qui propose précisément des dénouements parallèles ; ensuite parce que certains jeux abordent le thème dans une perspective historique : ainsi, dans Assassin’s Creed III, il existe une quête dans laquelle Georges Washington finit par mettre en place une monarchie et non plus une République ; enfin, plus récemment, un jeu comme Deadly Premonition 2 joue sur la variation des souvenirs et de l’influence du passé sur le présent.
Dans une société qui aime les étiquettes, on a tendance à distinguer, plus qu’il n’est nécessaire, entre « scientifiques », « littéraires » et « artistes ». Le rapport des arts à la science n’est pourtant pas nouveau : dans l’Antiquité, Aristote se plaisait autant à écrire à propos de la création littéraire, La Poétique, qu’à propos de la Nature, La Physique, et nombreux sont les artistes qui ont puisé, dans la science, bien des inspirations (et la réciproque est vraie). Qu’il s’agisse de Cyrano de Bergerac et de ses Etats et Empires de la Lune et du Soleil ou bien de Brecht et de sa Vie de Galilée, sans oublier l’influence des théories déterministes et de la science expérimentale sur le roman et le théâtre naturalistes, les exemples sont nombreux ! Frédéric Sonntag vient ainsi s’inscrire dans une tradition qu’il est bon de revivifier de temps à autre.
Si le théâtre s’y prête particulièrement bien, c’est qu’il propose lui aussi, grâce à la scène, une boîte noire, dans laquelle se prêter à des expériences où le sens se mêle au sensible. Incarner des enjeux scientifiques, que ce soit dans des rêves de conférence ou dans la simple contemplation du ciel et des lucioles, c’est aussi cela que permet le théâtre : donner, non seulement à voir, mais à penser ce que l’on voit – une expérience qui n’est donc pas uniquement mentale, mais aussi physique, charnelle...
La structure même du spectacle a pu décontenancer, surprendre, amuser… Il est clair que nous ne nous trouvons plus ici devant le « bel animal » aristotélicien, avec son début, son milieu, sa fin, ou devant le modèle classique du conflit, du nœud et du dénouement. A la place du déploiement linéaire de l’intrigue, nous voici devant un étrange jeu de miroir, comme un hommage – encore un – au roman A travers le miroir de Lewis Caroll (qui fut aussi un mathématicien, ne l’oublions pas…)
Le spectacle joue volontairement sur une logique que l’on retrouve à de nombreuses reprises dans le théâtre moderne et contemporain : celui de la répétition-variation, qui permet de jouer sur ce jeu de l’identité et de la différence dont En attendant Godot. Le fait même que le rideau se ferme, au beau milieu de la représentation, les nombreuses reprises, ainsi la conférence de Jean-Yves Blanchot qui devient, dans la seconde partie, un numéro de magie, ou encore la référence, par Bernard Pivot, au fait que l’émission devait initialement être consacrée à la science-fiction mais est finalement dédiée au temps. Tout cela crée un jeu d’incertitudes qui se prolonge jusque dans le nom des protagonistes, qui renvoient effectivement à des figures importantes de la France et de la Russie. Seulement Zinoviev, le vrai, est un philosophe, et Blanchot un écrivain et théoricien de la littérature. « Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », la trame dramaturgique déploie donc 4 existences parallèles, en y ajoutant un effet de chiasme..
Pour rappel, il s’agit d’une « figure de construction » où sont à l’œuvre « deux procédés : la répétition et l’inversion » : « il y a inversion dans la mesure où, alors que le parallélisme réitérerait le même ordre (AB/AB), un effet de symétrie le renverse « AB/BA » (Michèle Aquien et Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Librairie Générale Française, 2002, p. 485).On pourra évoquer avec les élèves les différents éléments contribuant à ce phénomène de chiasme :
- Zinoviev a une fille et Blanchot un fils
- Dans la première partie, Blanchot rate la carrière qu’il réussit dans la seconde, le rêve initial devenant réalité ;
- La sœur de Zinoviev meurt dans la première version, et survit dans la seconde ;
- Sa fille rentre dans un scanner donc pour se livrer à un examen sur son intériorité, et que ce dernier devient un simulateur de vol, ouvrant alors sur l’exploration non plus intérieure mais spatiale, extérieure ;
- Le fils de Blanchot est un musicien dans les deux cas, mais à succès dans la première « vie » - celle où son père est un « raté » - et un génie incompris dans la seconde, où son père accède lui à la reconnaissance et au prix Nobel ;
- La présence d’un texte, D’Autres mondes, dont Zinoviev est l’auteur dans la première partie, puis Blanchot. Les titres eux-mêmes sont en chiasme : celui de Zinoviev s’accompagne de la mention « 49 recommandations du futur pour habiter le présent » quand le texte de Blanchot a pour sous-titre «72 fragments du passé pour penser le présent ».
- Des scènes analogues donnent lieu à des sens différents : le passage chez Apostrophe ; la chanson White Rabbit du groupe Jefferson Airplane évoquant Alice au pays des merveilles, reprise dans deux versions distinctes ;
- la scène en Russie, avec, dans un cas, le spectre de la sœur, dans l’autre la sœur bien vivante ;
Bref, la liste est longue (et non exhaustive) de ce jeu de miroir. Ces effets de reflet et d’oscillation – comme quand, dans la première partie, les médecins parlent de simulateur au lieu de scanner – viennent alors ajouter un trouble dans la perception que nous avons de ces différentes vies et figurent scéniquement l’incertitude évoquée par l’expérience du chat de Schrödinger – devenu ici un lapin…En s’appuyant sur un modèle bien connu – celui du récit de vie – qui structure l’ensemble de la dramaturgie du spectacle, Frédéric Sonntag vient donc jouer avec l’ancienne tradition des « Vies parallèles » : mais là où celles-ci proposaient une comparaison entre deux trames, Frédéric Sonntag ajoute un autre sens, celui de la vie parallèle, du monde possible, de ce qui aurait pu être et qui, en définitive, existe peut-être, ailleurs, autrement…
Si les costumes permettent de préciser l’univers dans lequel nous nous trouvons – ainsi des années 1970, lors des émissions d’Apostrophe, et l’on pourra à cet égard faire des recherches avec les élèves pour observer la façon dont un costume constitue aussi un repère temporel important au théâtre – le point le plus marquant à travailler ici avec les élèves est la scénographie.
Celle-ci vient d’abord s’inscrire dans une logique qui est celle de la boîte, avec d’ailleurs un écho très fort entre la boîte qui s’ouvre dans le prologue de chacune des deux parties, et le rideau qui se lève et dévoile à nos yeux cette autre boîte, aux côtés lumineux, dans laquelle se déploie l’intrigue. Cette boîte dans la boîte devient alors comme le lieu d’une expérience, comme ce champ devant lequel se tient l’observateur, en physique quantique, et dont le regard va venir déterminer une des existences possibles des particules qu’il étudie.
Au sein de la boîte, plusieurs espaces : clairement délimités par des moquettes dans la première partie, il se fait plus instable dans la seconde, quand tous les lieux se trouvent sur un même fond noir, comme s’ils avaient perdu en précision, comme si leur ancrage initial se trouvait, d’une certaine façon, fragilisé.
L’espace scénique se déploie donc selon une logique qui est celle de l’espace multiple juxtaposé – où la scène se répartit en différents lieux, séparés les uns des autres dans l’espace et le temps, mais réunis dans l’espace théâtral. Cette logique était déjà à l’œuvre dans le théâtre médiéval, avec un système de mansions, et dans le théâtre baroque européen, comme en témoignent par exemple les dessins du mémoire de Mahelot (décorateur de l’Hôtel de Bourgogne dans la première moitié du XVIIe siècle, il tenait un Mémoire, document précieux qui comporte des indications sur les accessoires nécessaires à chaque représentation, et les dessins des décors utilisés).
Dans une telle esthétique, ce sont donc les comédiennes et les comédiens, leurs discours et leurs costumes qui vont permettre l’identification du lieu : l’espace central du plateau peut alors être aussi bien le plateau de l’émission de Bernard Pivot que la cabine où se déroule l’IRM. Il y a ici une souplesse dans les métamorphoses qui fait la force du théâtre, et qui en même temps déploie à nouveau sous nos yeux une certaine labilité de ces vies possibles, rêvées et imaginées. L’utilisation des écrans, outre qu’elle permet de mettre en place une autre vision des comédiennes et des comédiens au plateau, vient aussi créer des images qui sont autant de contre-points par rapport à l’action scénique.
Le théâtre et les autres arts : la musique vient à plusieurs reprises scander des moments importants du spectacle, notamment les débuts et la fin, avec des musiciens qui sont présents sur scène et qui jouent donc de la musique en direct. Ce rapport entre le théâtre et les autres arts, qui se manifeste également à plusieurs reprises par l’utilisation de la vidéo, qui crée à la fois des phénomènes d’illustration – ainsi dans l’IRM – mais aussi de mise à distance, comme dans l’emploi du film de science-fiction soviétique dans la dernière partie du spectacle, est un axe fort de l’identité du Nouveau Théâtre de Montreuil et se retrouve dans de nombreux autres spectacles . On pourra en particulier ici interroger le rôle de la musique et faire par exemple le lien vers d’autres formes, comme celle de la comédie-ballet, inventée par la collaboration de Lully et Molière, forme à laquelle appartient notamment la pièce du Malade imaginaire.
Le théâtre et la science : toujours à propos du Malade imaginaire, cette dernière pièce vient, elle aussi s’inscrire dans le rapport à la fois complexe et fécond qu’entretient le théâtre en particulier – mais aussi la littérature en général – avec la science. On pourra notamment aborder la question du rapport entre théâtre et médecine – en soulignant, par exemple, l’intérêt d’un Stanislavski pour les théories de Théodule Ribot sur la question de la mémoire, ou bien en voyant comment les théories médicales sur l’hérédité ont contribué à faire du déterminisme une fatalité nouvelle, à l’œuvre, entre autres, dans les œuvres d’Ibsen et de Strindberg, contribuant ainsi à l’émergence de ce que Maeterlinck appelait le « tragique quotidien ».
Les prologues : Conférence rêvée ou spectacle de magie fantasmée, le prologue de chacune des deux parties de la pièce se situe dans un entre-deux, un seuil étrange, entre réel et irréel, avec à la fois une adresse au public très marquée, et, en même temps, une prise de distance, encore complexifiée, lors du premier prologue, par l’apparition de deux narrateurs. Ce recours à une forme, en elle-même, assez ancienne - que l’on trouve notamment dans l’Antiquité mais aussi dans le théâtre élisabéthain (ainsi du commencement de Henri V) ou dans le théâtre humaniste (voir, notamment, Cléopâtre Captive de Jodelle) – s’inscrit dans une pratique influencée au XXe siècle par Brecht, et qui se trouve notamment dans Juste la fin du monde de Lagarce. De la même manière que la prise de parole de Louis se nimbe d’une inquiétante étrangeté – le personnage annonçant sa mort et sa décision de le dire à sa famille et déployant sa parole dans un espace-temps difficilement identifiable – le spectacle de Frédéric Sonntag inscrit ses commencements dans cette pratique qui tout à la fois met à distance et convoque des esthétiques qui sont celles du cabaret et du music-hall – forme spectaculaire qui est aussi le titre d’une autre pièce de Lagarce…
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