Footballeuses
Mickaël Phelippeau
Sur scène, dix femmes âgées de 18 à 57 ans sont présentes, venues d’horizons divers, mères de famille ou célibataires. Toutes appartiennent à un club de foot.
Leur place sur la pelouse questionne, et face au sexisme ordinaire, elles revendiquent pleinement leur passion pour ce sport collectif. À partir de la rencontre avec ces joueuses, Mickaël Phelippeau compose un spectacle sur mesure : elles y racontent par les mots et le corps, quelles footballeuses elles sont. Les mouvements d’ensemble avec ou sans ballon, les gestes techniques magnifiés, mais aussi les prises de parole et les fragments de vie dessinent une équipe soudée et des parcours de femmes. L’œuvre hybride d’un chorégraphe épris du dialogue avec l’autre, dont on a pu voir l’étonnant Chorus, pièce chorégraphique pour une chorale, à Montreuil en 2015.
La pièce Footballeuses, par son titre, renvoie directement au sport, ainsi qu’à l’actualité de la coupe du monde féminine de 2019 en France. Cela peut sembler étonnant, tant existe en France une démarcation très nette entre l’univers artistique et l’univers sportif, même si celle-ci tend à s’estomper depuis quelques années. Pourtant, théâtre et sport n’ont pas attendu l’ère du football-spectacle pour se découvrir de nombreuses affinités. Depuis les jeux de l’Antiquité qui désignaient aussi bien les jeux olympiques que des jeux théâtraux en passant par les salles de jeu de paume qui ont fourni au théâtre classique l’écrin de ses créations les plus célèbres, pour terminer par des spectacles plus récents comme Le Mental de l’équipe, d’Emmanuel Bourdieu et Frédéric Bélier-Garcia mis en scène par Denis Podalydès la découverte du spectacle par le biais du sport, un domaine souvent familier aux élèves, permet de mieux comprendre les enjeux du plateau en les confrontant avec ceux du terrain.
COMPRENDRE LES AFFINITÉS DE CES DEUX DOMAINES
Entre sport et théâtre les affinités sont nombreuses, à commencer par leur dimension spectaculaire. Dans les deux cas, il y a d’un côté ceux qui font, sur la scène ou sur le terrain, et ceux qui regardent, dans les tribunes ou dans la salle. Ce point commun va se prolonger par le recours à de nombreuses métaphores : on parlera ainsi des 22 acteurs d’un match, on évoquera la dramaturgie ou la tension dramatique d’une rencontre. Enfin la notion même de « jeu », commune aux deux domaines, les rassemble et les rapproche. Ces affinités peuvent être explorées avec les élèves, et seront l’occasion de convoquer un certain nombre de notions qui peuvent utiles à la compréhension du rapport du texte à la scène, comme celle de la théâtralité.
- Rechercher les points communs entre le sport et le théâtre, aujourd’hui et dans l’Antiquité.
- Comment expliquer que l’on parle, dans un cas comme dans l’autre, de jeu ?
- Rédiger puis raconter : un match comme une pièce de théâtre (une pièce comme Le Cid, avec ses revirements et ses duels, s’y prête assez bien) et inversement une pièce de théâtre dont le résumé serait construit comme un commentaire sportif.
Eléonore Martin et Pierre Philippe-Meden, dans leur article « Sport, Théâtre et Arts Vivants » (disponible sur http://www.seer.ufrgs.br/presenca) datant de 2014, remarquent : « [a]lors que la relation entre l’art et le sport s’entend comme une évidence du XXe siècle, notamment à travers la peinture des impressionnistes : scènes de plein air et canotiers chez Caillebotte ou scènes de turf chez Degas, ou encore à travers le cinéma d’auteur: Forza Bastia, de Tati (1978), Raging Bull, de Scorsese (1980), Senna, de Kapadia (2010), le rapprochement entre l’univers du théâtre et celui des sports paraît paradoxal. ». Pourtant, ces deux domaines offrent de nombreuses affinités : l’interpénétration des langues du sport et du théâtre; le théâtre comme ornementation du sport; le sport comme préparation aux métiers du théâtre.
On a donc tendance à l’oublier – en particulier en France – mais nombreux sont les auteurs, metteurs en scène et théoriciens du théâtre qui ont été influencés par le sport dans leur propre pratique, ou dans l’élaboration d’une réflexion. On pourra à cet égard évoquer le cas d’Albert Camus qui prête des vertus communes au sport et au théâtre, la réflexion de Barthes qui envisage le public d’un match de football comme un modèle pour comprendre les émotions du public d’une tragédie dans l’Antiquité, et enfin la façon dont Artaud conçoit l’acteur comme « un athlète affectif ». Quelques spectacles importants peuvent être convoqués: en France, Firmin Gémier crée Œdipe, sous le titre Spectacle Olympique (1919), au Cirque d’Hiver, et accompagne la pièce d’épreuves d’athlétisme. Autre spectacle qui fera date, les 800 mètres d’Andrey Obey, mis en scène par Jean-Louis Barrault, en 1941. Dans la France de Vichy, ce spectacle, ne correspond pas aux recherches de la politique sportive de cette période, comme le soulignent Eléonore Martin et Pierre Philippe-Meden : « La performance mise en piste par Barrault est celle des dieux du stade devenus hémiplégiques, se contorsionnant et simulant les pires efforts pour avancer de 10 centimètres ».
Enfin, c’est toute la préparation physique des comédiens, leur « training », mot anglais signifiant justement entraînement, qui va encore davantage développer ces affinités, au fur et à mesure que les idées de Georges Hébert, d’Etienne Decroux et de Jacques Lecoq vont influencer la pratique des femmes et des hommes de théâtre. Comme le souligne Barrault : « […] interpréter Hamlet, par exemple, c’est perdre un kilo et demi dans la soirée, Scapin fait monter la tension de 6 à 7 points. La pulsation des acteurs, comme celle des sportifs, est lente. Être acteur, c’est pratiquer un sport qui exige un équilibre musculaire, respiratoire et nerveux. »
Cependant, ces affinités ne doivent pas occulter les différences. Comme le rappelle Georges Banu dans « Le spectateur : le stade et la scène », une différence fondamentale demeure, quant à la vision engendrée par le théâtre. Celui-ci « suscite rarement la perception ‘sportive’ du corps. Car ici le corps peut être entraîné sans qu’il soit pour autant perçu comme performant. (Parfois, et cela est désagréable, le corps s’institue abusivement en objet central du spectacle, comme dans une compétition: le théâtre n’est pas un sport). »
LE SPORT DANS L'ART : ENJEUX DE REPRÉSENTATION
Le sport, sur scène, fait l’objet d’un traitement spécifique. Il s’inscrit dans un travail esthétique qui va lui conférer d’autres aspects, une autre dimension, en particulier en termes de gestuelle. Il n’en demeure pas moins que le spectacle va aussi convoquer le sport aussi bien visuellement, que de façon plus souterraine, dans la structure même de la représentation.
- Rechercher des œuvres, picturales ou cinématographiques, qui traitent du sport en général, et du football en particulier.
- Quel traitement en est proposé ?
- Cela leur semble-t-il réaliste ?
- Qu’est-ce qui selon eux a conduit des artistes à s’en emparer ? Intérêt social ? Personnage particulièrement marquant ? Dimension plastique des corps et des mouvements ?
- Comment se traduit sur la scène cette appartenance au domaine sportif et au football en particulier dans le costume, les accessoires et scénographiquement ? On pourra relever l’utilisation des maillots, du filet à ballon qui sont autant d’éléments renvoyant directement au football, ainsi que le nombre des actrices qui renvoie aux 11 titulaires d’une équipe. Par ailleurs, la délimitation des différents espaces par les ballons et les maillots, avec la distinction entre le banc de touche et le terrain, ou bien le recours à la craie sur le mur, dessinant un autre espace, celui du vestiaire, tout cela inscrit la scène dans les différents lieux du stade.
- Quelles sont les différentes étapes du spectacle ? Renvoient-elles à des étapes particulières dans un match de football ? La construction même de la pièce reflète les différentes étapes d’un match de foot : arrivée dans les vestiaires, échauffement, général puis spécifique, causerie, hymnes, le match proprement dit, et l’après match.
- Comment s’achève la pièce ? A quoi est-ce que cela renvoie ? Avez-vous déjà vu cela dans un stade ? La pièce s’achève sur la course des footballeuses vers le public, recréant celle des footballeurs victorieux courant vers leurs supporters : ainsi s’instaure, entre la scène et la salle, une dynamique analogue à celle qui régit le rapport entre le stade et le terrain.
Le traitement qui est ici proposé repose sur des décalages subtils entre la réalité et la scène : alors même que certains gestes d’échauffement correspondent bien aux phases habituelles de préparation, le chorégraphe va constamment instiller, dans ces moments connus et reconnus, un sentiment d’étrangeté : on peut penser à la façon dont la causerie de la coach va peu à peu dériver vers du non-sens. Un décadrage souligné, par exemple, par l’utilisation du mur dans son entièreté, quand la coach trace une ligne sortant du tableau noir suggéré, ou bien par l’étrangeté conférée même action, pendant le match. Le but inscrit sur coup franc fait l’objet d’une répétition variation : les gestes et les attitudes vont être conservés, mais peu à peu décalés. L’action cohérente que nous avions initialement sous les yeux, se retrouve progressivement fragmentée, chaque geste, chaque moment, gagnant en autonomie, et acquérant de ce fait une visibilité particulière, qui est peut-être l’une des spécificités de la vision que propose le théâtre, articulant la forme et la signification.
Comme son titre l’indique, le spectacle est porté par un enjeu politique fort, celui de la relation entre les femmes et les hommes dans un univers longtemps marqué comme typiquement masculin. C’est donc non seulement l’occasion de parler des footballeuses, mais aussi de les faire parler, de leur donner la parole. La démarche de Mickaël Phelippeau vient donc s’inscrire, au moins en partie, dans l’héritage du théâtre documentaire : la scène cesse d’être le lieu de représentation d’un texte dramatique préalable, pour devenir l’espace d’une parole, de témoignages et de documents qui vont venir nourrir la représentation, et l’engager dans la réalité, sans le recours de la fiction.
CONNAITRE LES CARACTERISTIQUES DU THEATRE DOCUMENTAIRE
Le théâtre documentaire présente plusieurs caractéristiques qui le différencient du rapport conventionnel entre le texte et la représentation : il ne part pas d’une fiction ; il prétend rapporter fidèlement la parole telle qu’elle a pu être retranscrite,soit dans des documents officiels soit dans le cadre d’entretiens et d’enquêtes sociologiques. Tout ce qui est dit n’a donc pas été écrit par un auteur dans un texte dramatique, mais constitue une restitution analogue à celle rencontrée dans la forme documentaire filmée, sans doute mieux connue des élèves. C’est de cette démarche que naît le contenu du spectacle Footballeuses qui permet aussi des témoignages à même la scène puisque les 11 comédiennes sont avant tout de véritables footballeuses qui témoignent de leur rapport au football.
Rechercher dans un dictionnaire la différence entre fiction, documentaire, document, et témoignage. Ce travail peut venir s’inscrire dans une réflexion sur la formation de l’esprit critique et la rigueur d’appréhension des sources sur internet.
Qu’est-ce qui dans le spectacle relève du document et du témoignage ? Ce qui se déroule sur le plateau correspond-il à ce que l’on peut voir réellement sur un stade, dans les échauffements ou dans les vestiaires ?
On pourra notamment observer la différence entre l’utilisation, au-début du spectacle, d’un document sonore, celui d’une émission de radio qui convoque elle-même une archive, où l’on a donc l’utilisation d’un document au sens propre, et la manière dont les différentes séquences du spectacle sollicitent des gestes et des pratiques directement empruntés à la pratique sportive. Enfin, on pourra distinguer les documents et les témoignages, entre la parole enregistrée, rapportée, notamment les documents sonores au début du match, et la parole incarnée, portée au plateau, en particulier au moment des témoignages qui viennent clore l’échauffement.
Le recours au témoignage et aux documents est un enjeu qui parcourt la scène contemporaine dans de nombreux spectacles, et qui s’inscrit dans l’héritage d’une forme instaurée en particulier en Allemagne dans les années 1960, avec, par exemple, le spectacle L’Instruction de Peter Weiss qui reprend le procès-verbal du jugement d’anciens criminels de guerre nazis. Au cœur du théâtre document et de ses prolongements dans les œuvres actuelles, il y a l’idée de se confronter au réel sans passer par une opération de mimésis, de représentation et de mise en ordre par la fiction. Si cette démarche ne peut occulter une certaine esthétisation, elle est aussi symptomatique de la volonté de redonner au théâtre une efficacité plus grande, en se fondant sur ce qui le singularise en tant qu’art : cette présence et cette coexistence de celles et ceux qui jouent avec celles et ceux qui regardent. Footballeuses sollicite cette dimension à différents niveaux : en donnant à entendre la façon dont les médias ont évolué dans le traitement du sport féminin, et en même temps en montrant que l’exploit sportif se trouve, dans l’extrait donné issu d’une émission de France Inter, effacé au profit d’un commentaire sur l’inscription du sport féminin dans les médias, radiophoniques ou presse écrite, avec l’évocation de la double page de l’Equipe. Parallèlement, le spectacle déploie aussi une démarche documentaire par rapport au football. Ce qui est documenté ici, ce sont des gestes et des pratiques, depuis les échauffements jusqu’à la causerie en passant par les exercices avec le ballon, ou l’échauffement spécifique de la gardienne, qui renvoient directement aux différentes phases de la préparation physique. Enfin, les témoignages interviennent quant à eux par les prises de parole des footballeuses, et l’on remarquera ici qu’elles parlent en leur propre nom, à partir de leur expérience vécue. Elles ne « jouent » donc pas des personnages, elles ne disent pas un texte ou des répliques, et en même temps le simple fait de prendre la parole sur scène confère à leur témoignage une dimension particulière, plus théâtrale, qui est au cœur de cette tension entre théâtralité et réalité spécifique au théâtre documentaire.
COMPRENDRE LES ENJEUX POLITIQUES DE CETTE DEMARCHE : L'EGALITE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
A l’origine de ce spectacle il y a un constat : la difficulté pour les femmes d’exister dans un milieu essentiellement masculin. Mickaël Phelippeau insiste notamment sur la façon dont les moteurs de recherche vont lier directement footballeuse à des articles comme « les 20 footballeuses les plus sexy » et d’autres du même acabit. C’est cette interrogation initiale qui va venir nourrir l’enquête et le travail artistique, une interrogation dont on peut s’emparer avec les élèves dans le cadre de la classe, aussi bien en lien avec l’EMC qu’avec « la question de l’homme dans les genres de l’argumentation » à partir d’un groupement de texte sur la question de la femme, ou en lien avec le féminisme et ses combats à travers l’Histoire.
- Faire des recherches documentaires sur internet : comparer les réponses trouvées quand on tape « footballeur » et « footballeuse ». Établir dans un tableau les termes et les thèmes récurrents pour chacune de ces recherches. Qu’est-ce que cela nous indique dans la perception des footballeuses ?
- Penser sa propre pratique : proposer aux élèves de remplir un questionnaire pour mener l’enquête sur la perception qu’ils ont des filles et du sport. Cela peut passer par des questions comme : « regardez-vous du sport féminin ? » ; « quand vous jouez au basket ou au football, jouez-vous uniquement entre garçons et entre filles ou vous mélangez-vous ? » ; « Vous est-il arrivé de vous retrouver le seul garçon ou la seule fille dans un sport ou une pratique artistique ? » ; « Pouvez-vous citer le nom du sélectionneur de l’équipe de France masculine de football ? Et celui de la sélectionneuse ? »
- Dans certaines filières, il peut aussi être intéressant de comparer d’un point de vue économique le football professionnel féminin et masculin : on pourra par exemple répertorier les différences entre les deux compétitions mondiales en termes de retransmission, de place dans l’espace public et dans les médias.
- Relever les impressions des élèves par rapport au spectacle : qu’est-ce qui les a surpris ? S’attendaient-ils à voir cela ? Avaient-ils des attentes par rapport à ce que pouvait être une footballeuse ? On peut leur faire écrire au préalable ce qu’ils s’attendent à voir compte tenu du titre du spectacle, puis comparer avec un compte rendu écrit de ce qu’ils ont vu.
- Quels sont les points communs entre les différents témoignages ? Ceux-ci correspondent-ils à leur propre expérience, à des événements dont ils ont pu être les témoins ou les acteurs ? Quels sont les différents rôles joués par ces femmes dans le football ? N’y a t-il que des joueuses ? Quels sont les problèmes concrets qui sont évoqués ?
Si la question politique de l’égalité entre les femmes et les hommes se retrouve dans les textes argumentatifs liés aux différentes « querelles des femmes » ou dans la forme romanesque, montrer des femmes s’emparant de domaines d’où elles se trouvent habituellement exclues parcourt aussi l’histoire de l’écriture théâtrale, même si les visées et les enjeux d’une telle confrontation sont divers. Dans une perspective comique, on pense évidemment à Molière, avec Les Femmes savantes, ou à Aristophane, avec Lysistrata, et au rôle du déguisement dans les comédies de Shakespeare, où, à l’instar de La Nuit des Rois, le fait d’être habillées en homme leur confère une plus grande liberté d’action. Mais c’est aussi au niveau du personnage que peut se jouer un tel questionnement, sur un mode plus grave : la Marquise Cibo dans Lorenzaccio de Musset incarne une tension très forte entre le désir de jouer un rôle politiquement à Florence et l’impossibilité de le faire par les recours habituels de la politique, un enjeu qui se retrouve à de nombreuses reprises dans l’œuvre de Corneille, depuis Chimène, dans Le Cid, jusqu’à un personnage aussi déroutant que celui de Cléopâtre dans Rodogune, femme de pouvoir dont l’amour du trône va jusqu’à l’infanticide puis au suicide. Un enjeu que la metteure en scène Bigitte Jaques Wajeman aborde dans sa mise en scène des pièces tardives, comme Sophonisbe, Suréna ou Sertorius : « Dans ce monde de l’empire colonial romain où les femmes sont des objets de marché au milieu des guerres d’homme, ces reines cherchent à maîtriser une situation immaîtrisable. Elles sont presque prostituées par les traités de paix, et elles essaient malgré tout de retrouver leur dignité de sujet. Je trouve cela formidable et passionnant. » (entretien d’Anne-Françoise Benhamou avec Brigitte Jaques-Wajeman, OutreScène, Revue du théâtre national de Strasbourg, n°9 p. 27). La fiction théâtrale et sa mise en scène deviennent alors l’occasion de mettre en évidence, de donner à voir et à penser l’évolution de la condition féminine au fil des siècles et des écritures au-delà de formes théâtrales politiques traditionnelles. Un personnage féminin, par la représentation qui en est faite dans les pages et au plateau, raconte aussi quelque chose de l’image que l’on se fait de la femme à une époque et dans un contexte spécifiques. On peut d’ailleurs trouver, dès L’Andromaque d’Euripide, une allusion, dans l’échange entre Ménélas et Pelée, aux dangers de la pratique du sport par des femmes, à travers la référence aux Spartiates :
« Toi, un homme ? Toi, le pire des êtres, à l’affreuse ascendance ! En quoi as-tu le droit d’être compté parmi les hommes ? Un Phrygien t’a privé de ta femme, parce que tu as laissé ton foyer grand ouvert et sans surveillance. Oui, tu croyais avoir une femme pleine de vertu chez toi, mais c’est en fait la pire de toutes ! D’ailleurs, même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent les mêmes pistes de course et les mêmes palestres que les garçons. Cela m’est insupportable ! Et après doit-on s’étonner que vous n’éduquiez pas des femmes vertueuses ? C’est à Hélène qu’il faudrait le demander, elle qui est allée festoyer sur une autre terre avec un simple jeune homme, après avoir abandonné ta demeure et ton Zeus Philios. » (Euripide, Andromaque, cité par Flavien Villard dans son article « Les spartiates, ces femmes auxquelles le sport a enlevé toute morale » disponible en ligne sur : https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2018-1-page-127.htm).
Le recours à la chorégraphie présente un lien étroit avec la thématique abordée : d’une part car le sport, comme le théâtre et la danse, repose sur des corps humains regardés et en même temps travaillés et traversés par une énergie, et, d’autre part, cela confronte deux stéréotypes, celui de la danse, qui serait l’apanage des filles, et celui du football, domaine réservé de la gente masculine. C’est aussi l’occasion pour les élèves d’aborder un phénomène majeur de la scène contemporaine, celui de l’interdisciplinarité, la rencontre entre des formes artistiques distinctes, la danse et le théâtre, dans une forme hybride. Enfin cela permet d’interroger plus spécifiquement le travail corporel sur la scène, et de donner aux élèves la possibilité de l’analyser et d’en observer les modalités.
ABORDER LE THEATRE ET LA DANSE DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Aborder une pièce chorégraphique avec les élèves n’est pas toujours évident : il peut donc être utile de leur montrer comment le théâtre et la danse ont, au fil des siècles, noué des relations diverses. La danse et le théâtre entretiennent en effet des liens anciens, depuis les chœurs dansés du théâtre grec, qui vont connaître, dans les années 1970, avec la Tanz-theater de Pina Bausch puis de Maguy Marin, un renouveau considérable.
- Recherche documentaire : définitions respectives de la danse et du théâtre. Trouver sur internet des documents renvoyant aux comédies-ballets de Molière et Lully. Comment s’intègrent les moments dansés dans ces comédies ? Sont-elles justifiées ? On pourra notamment traiter la cérémonie finale du Malade imaginaire.
- Dans une perspective plus contemporaine, demander aux élèves s’ils connaissent des œuvres, comédies musicales ou autres, qui lient ainsi la danse à un autre art ? Quel est l’effet engendré ?
- Distinguer les moments chorégraphiés et les moments parlés : lesquels occupent le plus de place ?
- Comment ces moments étaient-ils justifiés ? On pourra notamment observer la façon dont les prises de parole venaient s’inscrire dans un cadre réaliste, la causerie, et dans ce cas la parole se déployait avant tout dans les échanges entre les comédiennes, et les moments de témoignage, où la parole s’adressait au public, avant le commencement du match proprement dit. Les moments chorégraphiés, quant à eux, prennent justement appui sur les mouvements footballistiques, tout en les détournant.
Le théâtre et la danse, ainsi que le souligne Emmanuel Kant dans La Critique de la faculté de juger, ont en commun d’être des arts hybrides, liant en leur sein d’autres arts. Ceci explique que l’on ait pu, au cours des siècles, observer entre ces deux arts de nombreuses formes de collaboration. Dans une perspective historique, les possibilités de rapprochement sont donc nombreuses pour aborder la forme spécifique que revêt le spectacle Footballeuses. On peut, par exemple, souligner l’importance du mouvement dans le théâtre romain, en s’appuyant notamment sur les travaux de Florence Dupont, rappeler l’existence de ballets reprenant une œuvre théâtrale, comme Roméo et Juliette de Cranki ou le Cyrano de Bergerac de Roland Petit, ou bien observer la coexistence des deux arts dans Le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet ayant également pour personnage un professeur de danse. Ce dernier exemple permet de montrer l’ancienneté d’une telle relation, en même temps que l’évolution qui existe dans la façon dont on conçoit la danse. Alors que la leçon de danse, dans la pièce de Molière, suppose d’inscrire le corps dans les formes conventionnelles de l’époque, la danse telle qu’elle vient s’établir à travers la chorégraphie dans le spectacle part au contraire de gestes quotidiens, de corps quotidiens, pour, peu à peu, les styliser. Ce phénomène peut reposer sur différents procédés, et les différentes séquences de l’échauffement dans la première moitié du spectacle offrent des cas exemplaires de tels procédés : on observera notamment le ralentissement progressif d’un geste d’échauffement classique, où l’on fait semblant de ramasser quelque chose au sol, et comment ce ralentissement confère une autre « qualité » au geste ainsi réalisé. Le ralentir, c’est le donner à voir en détail, l’inscrire dans une logique non plus pratique - échauffer le corps - mais esthétique, mettre en forme le corps pour permettre sa contemplation. Un procédé qui renvoie, dans le domaine cinématographique et télévisuel, au recours au ralenti. On observe ainsi comment le chorégraphe puise dans la réalité au lieu de s’en abstraire, et, en même temps, comment il vient conférer au mouvement, une étrangeté, une qualité particulière.
COMPRENDRE L'INTERDISCIPLINARITE ET L'ANALYSER
Au plateau, l’analyse des mouvements peut présenter certaines difficultés. On pourra en particulier travailler sur la séquence d’habillage et ses pauses, sur la répétition-variation de l’action de but évoquée précédemment, ou sur les traits caractéristiques d’une chorégraphie, simultanéité des actions, travail rythmique, tout ce relève, en définitive, d’une écriture du mouvement.
- Rechercher l’étymologie de chorégraphie : pourquoi parle-t-on d’écriture ? Qu’est-ce qui peut venir distinguer une chorégraphie d’un mouvement naturel ? On soulignera en particulier la façon dont le mouvement est pensé, répété, construit et stylisé. On peut certes danser sans chorégraphie : mais la danse, sur scène, le spectacle qu’elle offre, nécessite un travail visuel et corporel considérable.
- Proposer aux élèves de réaliser une chorégraphie en partant d’activités quotidiennes : on peut par exemple envisager de chorégraphier l’entrée en classe, en allant de ce que l’on fait naturellement, pour aboutir à la façon dont on peut fixer certaines attitudes, les répéter, et engendrer de ce fait un traitement différent, plus construit, plus travaillé.
- Recherche documentaire : trouver des images de chorégraphies diverses. Relever les différences et les similitudes, observer le traitement du corps que cela implique pour préparer le regard au spectacle.
- Ce qu’ils ont vu correspondent-ils à ce qu’ils considèrent comme de la danse ? Qu’est-ce qui peut expliquer le décalage, si décalage il y a ? Quels sont les différents procédés utilisés pour transformer un mouvement « sportif » en mouvement chorégraphié ?
- Rechercher une image représentant les Trois grâces : cette image était-elle présente, à un moment, dans le spectacle ? Comment était souligné cet écho ? Il s’agit ici de s’intéresser au moment où trois comédiennes s’habillent pour le match. A plusieurs reprises, elles vont figer leur posture, notamment au début, quand il y en a une de dos, au milieu, et deux de face. Cet arrêt sur image vient ainsi convoquer dans le domaine sportif une image artistique, conférant ainsi une dimension supplémentaire à ce qui n’était initialement qu’une action anodine. Comment les musiques venaient-elles faire écho aux enjeux thématiques de la pièce ?
Dans les procédés employés pour chorégraphier le football, on pourra en particulier s’appuyer sur deux séquences : celle du ballon, qui précède la causerie dans le vestiaire, et celle du gardien de but, dont la gestuelle va peu à peu être récupérée par l’ensemble des comédiennes, et les amener ensuite à un travail groupé de danse-contact, pour terminer au sol puis reconstruire peu à peu l’image de la photo de l’équipe. La séquence du ballon commence par une action en apparence anodine : faire rebondir un ballon. Mais peu à peu va monter l’accompagnement musicale, et l’ensemble des rebonds va se trouver coordonné, engendrant alors un rythme. Le caractère chorégraphique de ce moment repose donc sur deux composantes : d’une part la coordination entre les corps, toutes les joueuses font rebondir le ballon au même moment et prennent la même pose, d’autre part l’accord avec la musique, les ballons venant scander les temps forts du morceau diffusé en même temps. Ces deux caractéristiques, rythme et coordination, viennent alors arracher le mouvement à son caractère habituel pour l’esthétiser. La seconde séquence, celle du gardien de but, se construit elle aussi progressivement, selon une logique de contamination. On retrouve différentes postures du goal qui constituent une boucle : dégagement, attente appuyée contre le poteau quand l’action est loin, mise en tension du corps à l’approche du ballon, arrêt, puis dégagement à nouveau. Ces actions se trouvent ici ramassées dans une phrase chorégraphique, qui va peu à peu être reprise par l’ensemble du groupe. On a donc à la fois un collage d’attitudes réalistes, qui se trouvent ici ramassées en une suite continue de mouvement, et une coordination de toutes les joueuses, avec un travail d’expansion, dans un premier temps, avec des corps nettement séparés, avant un rapprochement qui prépare le mouvement suivant, entièrement groupé. La répétition à l’identique, l’harmonie entre les différentes joueuses, et le rapprochement, viennent donc signaler, ici encore, le passage du geste quotidien au geste esthétisé, montré sur un plateau à travers des corps de femmes, entraînant alors un décalage par rapport aux images habituelles où de telles attitudes sont celles du goal d’une équipe masculine dont le match est retransmis à la télévision. On notera d’ailleurs qu’après le travail d’avancée groupée, et après le passage au sol des différents corps, on aboutira à une autre image canonique, celle de la photo d’équipe, d’où s’échappera l’une des comédiennes pour proposer un « solo », forme reconnaissable du ballet classique, sur une musique appelant les femmes à se montrer « sages » avant le mariage.
Avant le spectacle
testez vos connaissances
Chapitre 1 | Le sport et le théâtre
Comprendre leurs affinités
La pièce Footballeuses, par son titre, renvoie directement au sport, ainsi qu’à l’actualité de la coupe du monde féminine de 2019 en France. Cela peut sembler étonnant, tant existe en France une démarcation très nette entre l’univers artistique et l’univers sportif, même si celle-ci tend à s’estomper depuis quelques années. Pourtant, théâtre et sport n’ont pas attendu l’ère du football-spectacle pour se découvrir de nombreuses affinités. C'est ce que vous allez découvrir à travers ce quizz ! N'attendez plus !
Chapitre 2 | Le théâtre documentaire et ses enjeux
Connaître les caractéristiques du théâtre documentaire
Comme son titre l’indique, le spectacle Footballeuses est porté par un enjeu politique fort, celui de la relation entre les femmes et les hommes dans un univers longtemps marqué comme typiquement masculin. C’est donc non seulement l’occasion de parler des footballeuses, mais aussi de les faire parler, de leur donner la parole. La démarche du chorégraphe Mickaël Phelippeau vient donc s’inscrire dans l’héritage du théâtre documentaire : mais le théâtre documentaire, qu'est ce que c'est ? Les questions qui vont suivre vont vous permettre d'en savoir plus !
Chapitre 3 | Le théâtre et la danse : le corps en scène
Aborder le théâtre et la danse dans une perspective historique
Les points communs, les différences, et les liens possibles entre le théâtre et la danse à travers leurs histoires : c'est ce que nous allons aborder ensemble à travers le quizz qui va suivre. On y va ?!