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LES POSSEDES D'ILLFURTH

Munstrum Théâtre

Seul sur scène, dans une relation de grande proximité avec les spectateur·rice·s et sans autre artifice que son talent, Lionel Lingelser tombe le masque et tire le fil d'un récit où sa propre histoire s'entrecroise avec les légendes qui ont bercé son enfance. Il brûle littéralement les planches dans un puissant voyage initiatique.

 

 

À l’automne 1864, dans le village d’Illfurth au sud de l’Alsace, Joseph, sept ans, et Thiébaut, neuf ans, sont atteints d’un mal mystérieux et spectaculaire. Les autorités religieuses attestent une possession démoniaque et procèdent à leur exorcisme. Cent cinquante ans ans plus tard, Lionel Lingelser, natif de ce village, croise l’histoire du dernier cas avéré de possession et celle d’Hélios, avatar fantasmé de l’adolescent qu’il était.
Dans un seul en scène d’une bouleversante sincérité, il s’empare du plateau comme d’un royaume féerique, son épée de bois à la main, et convoque les fantômes et démons qui ont façonné l’artiste qu’il est devenu. Un solo incandescent !


 

Aller à l'essentiel avant votre venue au spectacle

Munstrum 


Est-ce du latin, est-ce de l’alsacien ? Compréhensible par tous, ce mot de « munstrum », tellement bien trouvé qu’on le dirait vrai, avec cet effet quasi réversible du graphisme, dit bien le projet rêvé par Lionel Lingelser et Louis Arene, les deux acteurs metteurs en scène qui ont fondé la compagnie en 2012 : créer un laboratoire où donner vie à leurs monstres, où rêver ces créatures extraordinaires qui peuplent leurs imaginaires comme les nôtres ; un univers baroque pour sonder l’étrangeté, le mystère du vivant, interroger nos fantasmes et susciter le trouble. Ces êtres chimériques, extra humains ou mutants, comme dans Zypher Z, ou trop humains, dans Les Possédés d’Illfurth. Les monstres sont au cœur de la démarche artistique de la compagnie qui développe un univers visuel puissant, à travers l’usage du masque et des prothèses, mais aussi par le langage du corps, de l’espace, de la musique et de toute la machinerie du théâtre. Autant d’éléments qui se déploient particulièrement dans Zypher Z

Un duo : Lionel Lingesler et Louis Arene 

Formés l’un et l’autre comme comédiens au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, où ils sont entrés en 2006, Lionel Lingelser et Louis Arène ont connu des parcours artistiques différents avant de fonder ensemble le Munstrum en 2012, compagnie au sein de laquelle ils développent des projets communs.

Né à Mulhouse, Lionel Lingelser a travaillé avec différents metteurs en scène, en particulier avec Omar Porras, dont le théâtre très physique utilise le jeu masqué, et avec Olivier Letellier, dans Oh Boy !. Il a aussi travaillé comme acteur pour la télévision et le cinéma. Louis Arène, lui, passé quatre ans à la Comédie française, où il est revenu en 2022 pour mettre en scène Le Mariage forcé de Molière. En parallèle du jeu et de la mise en scène, il a développé toute une approche plastique de la scène à travers le masque et la scénographie.

 

 

 

D'une pièce à l'autre 


Lionel Lingelser et Louis Arene ont abordé des univers aussi différents que celui très noir du dramaturge allemand Marius von Mayenburg et celui plutôt grotesque de l’auteur argentin Copi.

Dans Copi, il y a une dimension grotesque, voire carnavalesque, très forte, et la question des identités est très mouvante.

« La dramaturgie des corps très forte, ces personnages de Copi animés par des pulsions de vie comme dans Les Quatre jumelles, la dimension de l’absurde, nous ont aidé à développer ce théâtre très physique, non réaliste, proche de la marionnette. Le masque permet de décoller du réel de la folle à talon pour créer des figures métaphysiques et déjouer ainsi le tragique de la mort ».

Fort de ces expériences, le duo a eu envie de se lancer dans des projets plus personnels : une grande forme avec Zypher Z, assumant le texte au même titre que l’ensemble de la création, et un solo d’acteur techniquement dépouillé avec Les Possédés d’Illfurth. Deux pièces à la fois radicalement différentes et comme dans l’envers l’une de l’autre.

Clownstrum, le 3e spectacle présenté à Montreuil, offre une référence visuelle directe à May B. de la chorégraphe Maguy Marin, pièce inspirée de l’univers du dramaturge irlandais Samuel Beckett, dont les images ont marqué des générations de spectateurs et d’artistes jusqu’à ceux qui ne l’ont pas vu, ou n’en n’ont vu que des images et les ont rêvés à partir des récits qu’on leur en a fait. « De projet en projet, se dessine l’envie de faire des choses qu’on n’a jamais faites, les projets s’alimentent les uns les autres ». Le prochain projet du Munstrum pourrait bien être un Shakespeare.

Maintenant qu’ils ont accumulé un solide bagage scénique, les deux créateurs ressentent l’envie de s’attaquer à une écriture qui transcende. Leur goût pour les monstres les oriente naturellement vers Macbeth, probablement la plus monstrueuse de l’œuvre du dramaturge élisabéthain.

La compagnie Munstrum fête ses dix ans. Autour de Lionel Lingelser et Louis Arene, travaille toute une équipe, dont beaucoup se sont connu.e.s au Conservatoire : des acteur.ice.s, que l’on retrouve d’une pièce à l’autre habitués à un jeu très physique, des technicien.ne.s, des auteurs, des créateur.ice.s, que ce soit à la scénographie, au son, à la création plastique (marionnettes, masques…) sans qui les projets ne pourraient exister. Ainsi de Carole Allemand, plasticienne, marionnettiste, qui a travaillé pour les Guignols de l’info, sur de nombreux films et sur différents spectacles, qui elle-même travaille avec différent.e.s complices

Les monstres 


Qu’est-ce que le monstre aujourd’hui ? L’étymologie latine « monstrare » ne renvoie pas à une dimension négative mais plutôt au spectaculaire, à ce qui est extraordinaire.
Le duo du Munstrum se réfère aussi aux montreurs de monstres dans les baraques foraines. Il y a dans le terme de monstre, une polysémie intéressante pour ces deux artistes qui affectionnent particulièrement les paradoxes : le monstre, c’est ce qui fait peur dans les cauchemars d’enfants, c’est aussi celui que l’on montre du doigt, le différent, le hors norme, le déviant, mais c’est aussi à travers cette différence, celui qui montre, qui agit comme un révélateur, qui provoque, qui « amène comme un présage divin » dit Louis Arène. Augmentée par le travail du masque, la figure du monstre, présente dans tous les spectacles du Munstrum, qu’elle soit fantastique comme dans Zypher Z ou plus réaliste comme dans Les Possédés d’Illfurth, s’accompagne aussi d’un univers de visions, de chimères, d’une atmosphère nocturne, d’un climat sombre et fantastique où la nuit donne le ton et où la mort règne en maître. La mort n’est-elle pas le plus monstrueux des monstres ?


 

 

 

 

 

 

Le masque : ce qu'il cache, ce qu'il revèle  

 


C'est lors de leurs cours de masque, au Conservatoire, en suivant l’enseignement de Christophe Patty puis de Mario Gonzalez (qui fut le maître du premier), que Louis Arène et Lionel Lingelser ont éprouvé les premiers déclics et bientôt une véritable passion pour cet art qui, soumis à des règles de jeu très strictes, en relation constante avec le public, offre une liberté folle, que ce soit à travers le masque neutre ou le masque expressif.

Lionel, qui parle de sa fascination pour cet outil qui permet de « changer de personnalité, de sexe, d’âge, de redevenir des grands enfants », a ensuite poussé cette pratique avec le metteur en scène colombien Omar Porras, au sein du Teatro Palandro, qu’il évoque dans Les Possédés.Ils ont créé le Munstrum, comme un « laboratoire refuge, un endroit de liberté, pour continuité de creuser cette matière masque qui nous plaisait tant ». Lorsqu’ils se saisissent à leur tour du jeu masqué, beaucoup les découragent d’aller dans cette voie. A l’époque, le masque est vu comme passé, sinon ringard. Aussi ancien que le théâtre, associé au théâtre grec comme à la Comedia dell arte, et expérimenté par les grands maîtres tels que Lecoq, Mnouchkine, Grotowski — des artistes qui se sont intéressés aux pratiques extra-occidentales —, le masque est un outil associé au théâtre traditionnel ou rituel mais loin de la scène contemporaine.

Louis Arène et Lionel Lingelser, eux, l’expérimentent avec des auteurs tels que Lagarce et Copi, des écritures contemporaines jusque-là inexplorées par le masque. Les masques sur lesquels ils ont travaillé au CNSAD sont en bois et en cuir, eux cherchent des matières plus contemporaines. Les masques que crée Louis Arène dans sa cuisine, en plasticien qu’il est aussi, sont faits en matière utilisées dans le secteur médical pour des prothèses orthopédiques, ce sont des matières thermo formable, qui se travaillent à la chaleur. Louis Arène revendique une approche intuitive de l’outil : « petit à petit, nous avons appréhendé la poésie et la métaphysique du masque qui permet de donner aux œuvres un éclairage particulier. Le masque permet de travailler sur l’ombre et la lumière, de révéler les paradoxes. Il possède une dimension comique mais on peut aussi l’emmener à un autre endroit, il permet de travailler sur l’inconscient, sur des zones mystérieuses vers des écritures contemporaines. C’est le lieu de la complexité, de la perplexité, qui permet de sortir de la binarité de la vie, c’est aussi ça qui nous a fasciné dans le masque. Il fait le lien avec l’indicible, dans un grand écart entre le comique et le tragique, le sacré et le profane ».

 

 

 

Les Possédés d’Illfurth : sur le fil de l’étrangeté



La pièce a été créée en réponse à une commande de la Filature de Mulhouse, scène nationale d’Alsace qui soutient la compagnie depuis plusieurs années.

La commande était assortie de deux contraintes : d’une part, proposer une petite forme à tourner partout, dans le cadre d’un dispositif nomade, légère en technique, et, d’autre part, travailler autour de la question de l’étrange. Cette question de l’étrange a ramené Lionel Lingelser à sa propre histoire.

Dépouillé jusqu’à sa plus simple expression (un acteur un texte), Les Possédés d’Illfurth, apparaît comme l’envers de Zypher Z, et questionne ce qu’être possédé signifie, et plus encore ce que c’est que d’être dépossédé de soi-même, être sous emprise. Une thématique voisine de celle du monstre : celui qui est possédé devenant lui-même hors norme, donc monstrueux. Les Possédés d’Illfurth, est une fiction écrite par l’auteur Yann Verburgh, en dialogue avec Lionel Lingelser, et inspirée en partie d’épisodes de la vie de l’acteur mais aussi de l’histoire de son village. Le texte tisse en réalité deux histoires en une et tire plusieurs fils à la fois. Réveillant la légende de sa région natale qui relate le mal mystérieux et l’exorcisme en 1864 de deux jeunes enfants qui vécurent dans la ferme de son grand-père, l’acteur évoque en parallèle le parcours d’Hélios, sorte d’alter ego, en particulier sa rencontre avec un grand metteur en scène, maître du jeu masqué exerçant une certaine emprise sur les acteurs, ainsi que sa relation, dans son adolescence, avec un camarade du club de basket. C’est un spectacle «connecté au cœur », comme dit l’acteur, très adressé, le public est pleinement partenaire de jeu.

 

 

 

APRES LE SPECTACLE

Le motif de la possession 


Le motif de la possession se répète tout au long de la pièce et se retrouve à plus d’un titre : les possédés > se sont évidemment les deux jeunes enfants du village d’IIlfurth, Theobald et Joseph, habités par les démons, au XIXe siècle, puis exorcisés l’un après l’autre, et dont le curé écrira l’histoire sous ce même titre, Les Possédés d’Illfurth. Mais c’est surtout ce jeune Hélios dont la pièce nous raconte la lente libération. Jeune homme sous l’emprise d’un metteur en scène autoritaire, nommé ici Le Sorcier et derrière lequel on peut voir comme une figure d’Omar Porras. Le jeune acteur est littéralement possédé par le masque que lui impose Le Sorcier lors de séances de travail qui s’apparente par moment à des scènes de torture psychologique.

Hélios, c’est aussi ce même jeune homme mais que l’on découvre quelques années plus tôt, au fil d’un des nombreux détours du texte, jeune adolescent, cette fois sous l’emprise d’un camarade du club de basket qui abusera de lui pendant cinq ans. La pièce nous conduit d’une emprise à l’autre, en passant par l’histoire des enfants d‘Illfurth.

Le diable, les démons qui ont assailli les deux enfants sont nombreux dans la pièce, parmi eux, El Duende, ce démon de la force créatrice telle que dépeinte par le poète espagnol Federico Garcia Lorca.

 

 

 

La construction de la pièce 


Balançant sans cesse entre comique et tragique,

le texte part du théâtre puis avance en sautant d’une époque à l’autre, par associations de souvenirs, par cercles concentriques jusqu’à revenir au village des origines, là où a eu lieu l’exorcisme des enfants et où le héros, dans une forme d’exorcisme moderne, se déprend de la violence qu’il a subi durant son adolescence. En questionnant son agresseur sur l’origine de sa violence et l’enjoignant de ne pas reproduire ce qu’il lui a fait subir il rompt la chaîne de la violence. Les mêmes motifs se répètent mais de façon décalée entre comique et tragique par exemple entre le masque de Scapin, sous lequel il étouffe, et le masque à l’argile que lui pose la mère pour le soigner.

L’enfance, les origines : 

A travers le motif de l’enfance et la puissance imaginaire de l’enfance, la pièce aborde aussi la question des origines, celles, alsaciennes, du personnage, le rapport à la langue (l’accent), à la terre natale, et de manière plus sibylline, l’histoire d’une région ballottée d’un pays à l’autre. Mais aussi des souvenirs beaucoup plus intimes : les souffrances liées à l’énurésie « je me pisse dessus jusqu’à l’âge de 17 ans. Jusqu’à ce que je quitte cette région maudite » ; les tensions entre le père et la mère à propos du fils.

La religion : 

Le titre de la pièce, qui est aussi le titre du livre dans lequel le curé du village relate l’affaire des petits possédés d’Illfurth, rappelle aussi le roman de Dostoïevski, Les Possédés, qui décrypte aussi le rapport au père et à la religion. Ce livre est dans toutes les maisons d’Illfurth ce qui montre l’impact de cette histoire sur les imaginaires mais aussi la présence très prégnante de la religion, un rapport nourri de mysticisme. On a l’impression que peu de choses ont changé entre l’approche du vieux curé du cours de catéchisme des années 1980 et l’histoire du XIX siècle.

L’homosexualité :

le rapport à la sexualité apparaît ici sous le prisme de la honte, à travers les mots du grand-père (« j’ai tout vu » ! « mon grand-père m’a appris que le sexe est honteux, sale, indicible ») et à travers les sous-entendus du père.

Les abus sexuels :

le personnage d’Hélios est abusé par son ami de basket, il raconte son incapacité à lutter contre son ami Bastien chez qui il dort chaque week-end, sa paralysie, l’impossibilité pour lui de rompre le silence, de dénoncer haut et fort le problème « Les meilleurs ne sont pas abusés. Les vrais hommes ne sont pas abusés », les adultes qui ne voient rien… une véritable emprise dont il se défait finalement en quittant le club pour entrer en sport étude. Ce texte est l’une des rares paroles d’hommes victime de viol. Yann Verburgh a convaincu Lionel Lingelser d’aller au bout. Il est content d’avoir libéré cette parole : « dans cette période où les langues se délient on a besoin de nouvelles histoires pour pouvoir se forger ». L’acteur revendique une énergie politique : « le spectacle vivant est l’un des rares endroits où on peut réveiller les gens, les secouer, c’est une arme massive le théâtre ! » La Scène du rêve est à rapprocher de Zypher Z : là encore, on assiste à un passage dans une autre dimtension, un basculement dans le fantastique, où, à la poursuite des deux enfants exorcisés Théobald et Joseph, Hélios arrive aux enfers, une sorte de boîte de nuit où il rencontre la vierge Marie et El Duende…

 

 

 

Les personnages 

 


Dans le droit fil de Caubère, Lionel Lingelser offre des personnages hauts en couleur, celui du metteur en scène tyran mais aussi celui de la mère, joué par le fils, une mère de théâtre, personnage excentrique, très drôle, naturopathe perchée avec ses soins aux plantes et ses masques à l’argile, la mère aussi est un peu sorcière qui lui asperge un peu de sauge pour le protéger des démons.

 

 

Un premier spectacle sans masque 



C’est le premier spectacle sans masque du Munstrum et pourtant il y est fait constamment référence. Le masque ici c’est aussi le masque social, ce personnage que l’on joue en société et derrière lequel on se cache. A travers la dimension de récit confession, Lionel Lingelser tombe le masque pour raconter ce qui ne peut plus être caché. On passe dans l’envers du masque.

 

 

Avant le spectacle

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Après le spectacle

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