L'homme de plein vent
La Belle Meunière
Pierre Meunier livre un combat comico-tragique contre la loi de la gravité et tente obstinément de gagner de la hauteur. La re-création d’un spectacle fondateur d’un poète de la scène.
Ils sont deux, comme Don Quichotte et Sancho Pança. L’un, Léopold (Pierre Meunier), révolté par la dictature de l’inertie et la pensée terre-à-terre, met toute son énergie dans l’envol : question de ténacité, pense-t-il ! Pour l’autre, Kutsch (Hervé Pierre), vérificateur des poids et mesures défroqué, notre masse va de soi, mais il emboîte le pas à son camarade — sait-on jamais ? se dit-il. Dans un décor de poulies, de cordes, de barres horizontales et de contrepoids, les deux gaillards font tout pour se hisser au-dessus du plancher des vaches, joignant le geste à la parole. L’écrivain, acteur et metteur en scène Pierre Meunier remet au plateau, sous le regard de Marguerite Bordat, ce spectacle créé en 1996. Léopold et Kutsch ont donc vingt-quatre ans de plus — et l’assument — mais ils sont plus déterminés que jamais à ne pas lâcher le morceau contre la pesanteur du monde. Au croisement du comique burlesque et de la métaphysique, L’Homme de plein vent « version 2020 » encourage à remonter ses manches pour s’extirper de tout ce qui nous rabaisse, nous cloue au sol, nous étouffe. Réjouissant et salutaire.
Le théâtre que nous vous proposons dans L’HOMME DE PLEIN VENT ne comporte ni message codé, ni sens caché qu'il s'agirait de découvrir et prouverait que vous avez compris.
Pas de sens unique, mais une multiplicité de sens possibles. Ce n'est pas un parcours fléché où le chemin à suivre est tout indiqué, c'est beaucoup plus excitant que ça ! Mais peut-être un peu inhabituel pour vous. C'est vous qui allez peu à peu fabriquer votre propre fil rouge entre le début et la fin.
Nous vous invitons à un voyage sensible.
Il s'agit pour vous d'accepter de ne pas forcément " comprendre " dans l'instant ce qui se passe sur la scène. Si une action vous intrigue, et que vous ne " comprenez " pas immédiatement pourquoi elle survient à cet instant-là, laissez-vous la regarder pour ce qu'elle est, pour les sensations qu'elle vous propose, faites-nous confiance, faites confiance à ce qu'elle va vous évoquer, à la façon dont elle peut résonner avec un autre moment qui a précédé ou qui va suivre et que vous allez bientôt découvrir.
Tout ce qui se déroule devant vous survient pour être ressenti, éprouvé par vous. Pour provoquer en vous des associations d'images imprévues et singulières. Pour stimuler votre imaginaire et le laisser librement se déployer en vous.
Cette dimension de liberté est très importante dans le théâtre que nous fabriquons. Ce thème de la sécurité, du risque, du besoin d'être rassuré, que. nous avons choisi d'aborder résonnera en chacun de vous de différentes façons.
Vous l'avez sans doute compris, cette forme de théâtre s'adresse d'abord aux sens, à la vue, à l'écoute, à la perception de l'espace et du temps. Prenez ce moment comme une occasion de rêverie personnelle. Un voyage intérieur qui ne concerne que vous. Un exercice de liberté. Donnez libre cours aux images qui peuvent surgir en vous. Aucune n'est fausse ou à côté de ce qu'il "faudrait" voir.
Après la représentation, tout ce que vous aurez éprouvé et traversé au milieu des autres spectateurs constituera votre matière propre et intime, la plus légitime qui soit. Il sera alors intéressant de la comparer à celle des autres. Les différences seront sans doute grandes, elles vous étonneront. Les observations de certains vous feront réfléchir, tandis que vos réflexions pourront leur donner à penser.
C'est peut-être le signe que ce que nous vous proposons est suffisamment ouvert pour s'adresser à chacun de vous. C'est en tous cas ce que nous espérons chaque soir en retentant nos expériences sur le plateau du théâtre.
Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir dans la découverte de L’HOMME DE PLEIN VENT .
L'équipe de La Belle Meunière.
De deux hommes – et d'un troisième, dissimulé, qui active différentes machines. Nous sommes dans une sorte d'atelier-laboratoire. Ce qui anime ces deux personnages, Léopold et Kutsch ? Une lutte, que dis-je une lutte, un combat épique contre l'une des forces physiques fondamentales de notre bonne vieille Terre : la pesanteur. A la force de son attraction vers le bas, Léopold ne cessera d'opposer l'enthousiasme de sa propension à s'élever. C'est ce combat que nous sommes invités, une heure et demie durant, à contempler.
Pour faciliter l'appréhension du spectacle par les élèves, on pourra notamment insister sur :
Quelques clarifications préalables : le spectacle y faisant constamment allusion, il peut être bon de s’assurer que les élèves ont une connaissance a minima des phénomènes de pesanteur et de gravité. L’ancien métier de Kutsch, « Vérificateur aux poids et mesures », et la référence au kilo-étalon, peuvent aussi faire l’objet d’un rappel : après la mise en place définitive du système métrique en 1840, fut créé un système de vérification des poids et mesures permettant de s’assurer de la disparition des modes de références issus de l’Ancien Régime. Le kilo étalon constitue la référence mondiale de masse depuis 1889 : cela ne signifie pas qu’il demeure constant… il a fait récemment l’objet d’une réévaluation entrée en vigueur en mai 2019.
L'une des inspirations de ce spectacle : Don Quichotte de Cervantès. Pierre Meunier évoque en effet dans la note d'intention du spectacle qu'il était « habité par le roman de Don Quichotte », et en particulier par le duo entre le chevalier à la triste figure et son fidèle Sancho Pança. On pourra à la fois s'appuyer sur des extraits de l'œuvre – en particulier la scène du combat contre les moulins à vent – mais aussi sur les reproductions picturales existantes : celle de Pablo Picasso ou bien celle de Gustave Doré. Ces deux figures s'inscrivent dans une relation à la fois de contraste, de complémentarité et de hiérarchie. Pierre Meunier s'en inspire explicitement : « j'ai écrit cette épopée contemporaine de l'impossible victoire d'un duo incarnant poétiquement la dialectique du lourd et du léger, du révolutionnaire et du conformiste, de l'utopie et de la raison [...] ».
Sa dimension politique : comme le souligne la citation précédente, le combat dont il est question est au cœur d'enjeux politiques. S'il part d’un élément physique, celui de la pesanteur, il s'agit bien au fond de nous amener à réfléchir sur ce qui nous entrave, sur ce qui nous empêche de nous élever, sur ce qui nous pèse. S'il ne s'agit pas d'un théâtre didactique, si la portée politique n'y est pas aussi clairement énoncée que dans d'autres formes, il y a malgré tout un engagement. Seulement celui-ci ne prend pas la forme de la défense d'une cause clairement identifiée : Pierre Meunier et Hervé Pierre nous incitent à réinvestir autrement notre rapport au monde. Ce spectacle est donc aussi là pour éveiller l'imaginaire, rêver, penser, contempler et développer une joie et un comique qui viennent justement saper la gravité – dans tous les sens du terme.
Le dispositif scénique mis en place a des allures de mini-cage de scène, mais dont tous les aspects d'ordinaire cachés nous seraient dévoilés. Comme une scène en miniature, en somme, avec des câbles, des bouts, des mécanismes clairement visibles, le tout environné d'autres machines rouillées, certaines identifiables – ainsi d'un treuil – d'autres plus étranges. Au sein de ce décor-machinerie les deux comédiens vont procéder à des opérations variées – depuis la domestication d'un ressort jusqu'au rattrapage de boulets, sans oublier bien sûr de contrer la pesanteur et de permettre l'envol de Léopold. Ce spectacle, par son duo et son cadre, renvoie à la question des machines théâtrales et à une forme peut-être moins connue, celle des entrées de clowns.
Les entrées de clowns : si cette forme a pu tomber en déshérence, elle a connu un succès important au cours du XXe siècle – et pas uniquement au cirque, mais aussi au music-hall. Des auteurs comme Beckett, notamment dans Godot , vont s'en inspirer. La dynamique générale de ces entrées de clowns tourne autour des interactions entre un clown blanc – le plus rationnel, le plus sérieux, le plus grave – et l'Auguste qui, lui, est plus désordonné, poussé par des besoins comme la faim, la soif, et ne va cesser de faire échouer les entreprises du clown blanc. Son autorité ne va cesser d'être sapée tout au long du numéro. La notion même d' « entrée » souligne l'irruption surprenante des clowns dans la trame d'ordinaire réglée du cirque ou du music-hall.
Le théâtre et les machines : si nous sommes habitués à envisager le théâtre avant tout à travers les comédiennes et les comédiens, leur jeu se déployant au sein d'une scénographie, il y a ici tout un environnement qui est rendu visible de mécaniques, de machines, de procédés, qui rendent non seulement visibles et compréhensibles les ficelles de la représentation théâtrale, mais qui vont en outre rentrer en interaction avec les acteurs. Ces derniers ne sont plus simplement au cœur d'un environnement scénique, ils vont jouer de lui et avec lui, jusque dans les complications que cela peut supposer.
Si les élèves ont souvent l'habitude de voir, dans le théâtre, une forme littéraire portée à la scène et où l'élément central serait le dialogue, ils vont découvrir, à travers L'Homme de plein vent un théâtre où le dialogue – certes important – n'est pas central, ce qui explique par exemple le recours au grommelot ou à une langue étrangère, l'allemand, qui n'empêche cependant nullement la compréhension de ce qui se joue au plateau. Pourquoi ? Parce que le théâtre qui se déploie devant nous va avant tout solliciter des actions physiques concrètes mettant en jeu aussi bien les machines que les objets. Les oppositions et les tensions ne passent plus tant par la forme dialoguée que par ce qui se fait concrètement, ce qui nous rappelle, au fond, la définition que propose Roland Barthes de la théâtralité : « Le théâtre moins le texte ».
Le rapport maître-valet (comédie XVIIe - XVIIIe) : les élèves ayant abordé la question de la comédie au fil de leur scolarité, et notamment les comédies de Molière, retrouveront dans le spectacle une dynamique qu'ils connaissent, celles du maître et de son valet. On pourra par exemple souligner la façon dont les servantes dans les pièces comme Le Malade imaginaire ou Le Bourgeois Gentilhomme ne cessent de s'opposer aux illusions de leur maîtres et à leurs lubies, pour les ramener du côté du bon sens et de l'évidence, ou bien la manière dont des valets comme Scapin, Arlequin ou Figaro sont ceux qui permettent à l'intrigue d'avancer et de fonctionner, mettant en œuvre une machine, cette fois dramatique, pour faire arriver leur maître à leur fin.
Les duos comiques : si le duo de clown est moins connu aujourd'hui, et si les duos d’humoristes eux-mêmes sont moins fréquents (Omar et Fred, Éric et Ramzy, Elie et Dieudonné ont tous mis fin à leurs duos pour poursuivre une carrière solo), la dynamique du duo en elle-même continue de fonctionner dans un nombre important de fictions.
On pourra ainsi faire allusion :
aux duos habituels des films de policier entre l'officier intègre et rigoureux – équivalent du clown blanc – et le policier moins conventionnel ( L’Arme fatale I, II et III, Bad Boys I, II et III, Men in black ).
Aux duos plus ou moins stables apparaissant dans les films de super-héros et les comics , entre celui qui sera responsable et pondéré, Captain America, et un autre plus jeune et aventureux, Spider-man (ou bien entre Spider-man et Iron Man dans Infinity Wars). La dynamique demeure, y compris quand le duo tourne au duel, par exemple entre Batman et le Joker ou bien, avec un lien familial, comme entre Loki et Thor.
Sans oublier le duo le plus célèbre du jeu vidéo , Mario et Luigi, qui reprend une distinction physique analogue à celle existant entre Don Quichotte et Sancho Pança.
Et sans doute les élèves seront-ils capables d'en proposer bien d'autres...
La figure du savant fou : le savant fou et son assistant sont une autre forme de duo devenu, au fil des années, un topos du cinéma d'horreur et que l'on retrouve sous bien des formes, depuis les films de la Hammer dans les années 1950, autour du Dr Frankenstein, jusque dans les traitements parodiques qu'en proposent, par exemple, Mel Brooks dans Frankenstein Junior. La figure du scientifique tentant un projet insensé s’est encore réinventée ces dernières années, avec, notamment, les nombreux Jurassic Park mais aussi dans la trilogie Matrix à partir du numéro 2, où la figure de l’Architecte, certes ambiguë, présente certaines similitudes avec le scientifique dont la création s’avère trop puissante pour être contrôlée. Si le personnage de Léopold proposé par Pierre Meunier n’est pas explicitement présenté comme un savant fou, on en retrouve un certain nombre de composantes : outre l’accent allemand, qui rappelle le Dr Folamour de Kubrick, son penchant pour les expérimentations l’en rapproche, mais sur un mode moins offensif et dangereux, dont l’équivalent cinématographique serait sans doute le « Doc » de la trilogie Retour vers le Futur .
De la poésie avant toute chose… oui il y a dans ce spectacle une indéniable poésie, mais à quoi tient-elle précisément ? Et qu’est-ce que cela implique, notamment dans la réception que l’on peut faire de ce spectacle ? Si poésie il y a, elle réside sans doute dans l’importance qu’y prend une figure de style fondamentale : celle de la métaphore. L’idée de parler d’une chose pour en suggérer une autre, et, ce faisant, de nous les faire voir différemment. Seulement la métaphore, ici, n’est pas évidente. Elle est en quelque sorte in absentia .
De quoi ces deux êtres et leurs machines sont-ils l’image ?
Voici peut-être une question qui pourrait ouvrir la conversation et les échanges avec les élèves, en les invitant à ne pas se restreindre à ce qui est dit, mais à voir comment ce combat peut aussi être le leur, sous un autre aspect, sous d’autres traits…
Le spectacle met en valeur le duo et les comédiens qui le composent. La dynamique à la fois de complémentarité et d’opposition, qui va culminer jusque dans la « torture » de Kutsch soupçonné de traîtrise, fonctionne sur un travail de contrastes, tant physiques que dans les caractères esquissés des personnages. Alors que le lieu de Léopold est le haut, celui de Kutsch est le bas : mais cette distribution spatiale renvoie aussi à des caractéristiques façonnant le rapport du grotesque et du sublime. Quand l’un évoque l’amour corporel avec une femme, l’autre rêve d’une figure éthérée, jamais clairement nommée ; quand l’un boit un coup et mange, l’autre ne pense qu’à son combat et s’enthousiasme sans cesse. Mais ce qui vient unir ces deux personnages est un combat commun, dans lequel Léopold est clairement le meneur, selon une dynamique directement héritée du Don Quichotte de Cervantès.
Alors que le conflit dans une pièce de théâtre est traditionnellement conflit des volontés, ici le combat est on ne peut plus concret, et physique : les accidents, qu’il s’agisse de la libération du ressort qui échappe au contrôle de Léopold selon une logique qui est aussi celle du savant fou dépassé par sa création, de la récupération des boulets, de la mesure de la hauteur atteinte, tout cela vient dynamiser cette relation, jusque dans le voyage ultime, l’envol, où l’extase de l’un contraste avec l’épuisement physique de plus en marqué de l’autre.
Théâtre physique, donc, mais aussi, d’une certaine façon, théâtre d’objets. Ces derniers se trouvent tour à tour animalisés, depuis les boulets jusqu’au ressort. Si l’on ne peut parler de théâtre d’objets au sens propre, les procédés de personnifications d’éléments inertes sont néanmoins bien présents : que ce soit dans la tonalité, dans les adresses, dans la gestuelle où le rapport qui s’établit est celui d’un maître envers un animal domestique ou d’un dompteur. On pourra alors attirer l’attention des élèves sur la valorisation de l’objet : celui cesse dès lors d’être un simple « accessoire » pour rentrer en jeu, très concrètement. Les mouvements face au crochet par exemple sont déterminés par le balancement de ce dernier, et son évitement n’est pas joué, il est, là encore bien réel, tout comme l’équilibre précaire des ressorts de matelas empilés… Jouer avec la pesanteur, c’est du concret.
Il y a dans les machines, dans les objets, une double logique : celle du bricolage, d’une part, mais aussi celle de l’usure et du passage du temps. Ici, le contexte de la re-création vient donner une épaisseur et une ampleur nouvelle à ce sujet. Voici un spectacle créé en 1996, repris par les mêmes comédiens… et voici que sur les machines la rouille nous raconte aussi à quel point ce combat a une durée qui lui est propre. Dès lors le choix des matériaux, la volonté de représenter aussi une usure à travers l’aspect extérieur des objets, confère une autre densité à cette lutte, et à cet envol.
Le terme même « décor-machine » employé par Pierre Meunier dévoile l’importance des treuils, des câbles, des filins, autant de procédés d’ailleurs couramment utilisés au cinéma, et soigneusement effacés par ordinateur ensuite. Le moment de l’envol, les différents procédés de trucages, volontairement voyants, employés, pourront faire l’objet d’une analyse plus spécifique, en la comparant d’une part avec des séquences filmiques analogues, d’autre part en la confrontant avec des poésies venant, elles aussi, opposer la pesanteur et la grâce.
Par ailleurs, le fait que les dispositifs soient visibles, contribue à unir deux esthétiques d'ordinaire opposées : celle du « tréteau nu », chère à Copeau par exemple, et celle des pièces à machines. Ainsi, alors que dans une pièce à machine comme Médée de Corneille l’envol de la magicienne constitue un moment clef de la pièce et doit susciter l'émerveillement du spectateur de manière à ce qu'il ne puisse soupçonner comment cela est réalisé, ici, l'envol de Léopold, tout aussi important, se réalise par des moyens plus dérisoires, plus immédiatement perceptibles – mais peut-être, à leur manière, tout aussi enchanteurs.
Les costumes, quant à eux, jouent sur une opposition entre la veste et le côté aristocratique de Léopold et la simplicité des vêtements de Kutsch. Un rapport social et hiérarchique vient alors s’établir, qui se trouve renforcé et confirmé par la manière dont Léopold va souvent laisser Kutsch se débrouiller seul avec la matière, comme quand il s’agit de ranger les tuyaux. On retrouve donc ici, jusque dans les costumes, le duo de clowns qui ancre l’un dans le domaine terrestre, l’autre, au contraire, dans des sphères plus éthérées.
Le maître, le valet, et les machines : Don Juan de Molière. C’est un fait parfois un peu oublié, mais Don Juan est avant tout une « pièce à machines », avec des apparitions spectrales, des effets spéciaux, et son écriture est directement liée aux travaux de modernisation réalisés par Molière dans son théâtre de manière à pouvoir disposer, lui aussi, d’une importante machinerie. On pourra aussi observer la manière dont la dynamique du duo entre Sganarelle et Don Juan n’est pas sans rappeler celle de Léopold et de Kutsch : si celui-ci éprouve une certaine fascination pour son maître, cela ne l’empêche pas d’avoir, parfois, des difficultés à le suivre, des réticences. De la même façon que Sganarelle souhaite préserver, au moins, « le moine bourru », Kutsch conserve précieusement son maître étalon, et le récit de sa naissance souligne le lien profond, intime, qu’il a avec la pesanteur.
La métaphore, le politique, et la métamorphose : Rhinocéros de Ionesco. Enfin, la métaphore et ses enjeux politiques, qui constituent un axe fondamental du spectacle, pourront se retrouver dans une pièce comme Rhinocéros de Ionesco. Si l’image convoquée est ici plus explicite, elle montre comment le théâtre peut, lui aussi, convoquer des figures de style et les mettre en jeu non pas ponctuellement, mais tout au long d’une pièce.
Poésie et rêverie de l’envol : Bachelard, et notamment son ouvrage L’Air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement constitue aussi une influence revendiquée de Pierre Meunier. Le spectacle pourra alors être rapproché de différents poèmes mettant en valeur une rêverie de l’envol, ou la fascination pour l’azur, par opposition avec l’entrave de la terre ferme. C’est cette dynamique, par exemple, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans l’œuvre de Baudelaire : L’Albatros où le « prince des nuées », « naguère si beau » devient « comique et laid » dès qu’il touche le sol ; Élévation , qui décrit précisément ce mouvement d’ascension de l’esprit pour se « purifier dans l’air supérieur ». L’opposition entre le haut et le bas renvoie aussi à l’alliance du grotesque et du sublime qui vient fonder l’esthétique hugolienne, en particulier dans son théâtre, où la relation de gémellité et de contraste dans Ruy Blas entre le héros et Don César, entre le rêveur amoureux et l’homme avide de vin et de nourritures terrestres constitue un autre traitement de la figure du duo.
Enfin, par rapport au programme spécifique en théâtre en 1ère, on pourra souligner les rapprochements possibles entre « l’homme de plein vent » et la « femme de pleine terre » qu’est Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett. L’importance de l’élément terrestre et du feu, tout comme l’image scénique proposée au public, fonctionnent aussi sur un mode métaphorique rendant compte d’une tension entre l’aspiration à l’élévation et l’entrave qui vient l’empêcher, Winnie ayant le sentiment d’être comme « sucée » par la terre qui l’enserre : « La gravité, Willie, j’ai l’impression qu’elle n’est plus ce qu’elle était, pas toi. (Un temps.) Oui, l’impression de plus en plus que si je n’étais tenue – (geste) – de cette façon, je m'en irais tout simplement flotter dans l’azur. (Un temps.) Et qu’un jour peut-être la terre va céder, tellement ça tire, oui, craquer tout autour et me laisser sortir. (Un temps.) Tu n’as jamais cette sensation, Willie, d’être comme sucé ? » (Beckett, Oh les Beaux jours , éditions de Minuit, Paris, 1963 p. 40).
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