LIEUX COMMUNS
Baptiste Amann
Avec cette nouvelle création aux allures de vrai faux polar, Baptiste Amman nous entraîne dans les entrelacs d’une pièce-puzzle où la vérité échappe en même temps qu’elle se recompose sans cesse.
L’intrigue commence dans les coulisses d’un théâtre, un soir de première, alors qu’une manifestation de militantes féministes semble compromettre la tenue de la représentation. Le spectacle porte sur un recueil de poèmes, rédigé en prison par un homme condamné pour le meurtre d’une femme, quinze ans plus tôt… Bientôt, ce sont trois autres situations, sans lien apparent, qui s’enchevêtrent et entrent en résonance. A partir du retentissement de ce fait divers fictif se déploie un jeu de piste complexe où les espaces et les temporalités se confondent. La pièce explore les tourments générés par notre rapport à l’irrésolu.
On retrouve ici la prédilection de l’auteur metteur en scène Baptiste Amann pour les espaces comme pivot de la narration.
Ce qui l’intéresse cette fois ce sont les arrières-décors, ce qui se trame derrière : les coulisses, le sous-sol d’un commissariat, la loge d’un studio de télévision et un atelier de restauration… Associé au Théâtre public Montreuil, Baptiste Amann fait partie de ces artistes, comme Pauline Bayle, comme ceux du collectif Bajour, attachés à la narration et qui, pour raconter des histoires, composent des fresques de grande ampleur nécessitant un grand nombre d’interprètes au plateau, souvent les mêmes d’un projet à l’autre. Lieux communs est son troisième spectacle présenté sur la scène du Théâtre public Montreuil, après Salle des fêtes et Jamais dormir.
Les titres, chez Baptiste Amann, ont valeur programmatique.
Dans Lieux communs, le titre peut s’entendre au sens propre comme au sens figuré :
en français, cette expression à connotation péjorative évoque une pensée peu construite, reposant sur des idées reçues, un discours banal nourri de préjugés, un manque de réflexion.
Dans « lieux communs » : Il y a lieu : le lieu est l’unité fondamentale sur laquelle s’appuie le travail du metteur en scène, ainsi qu’il l’annonce avec le projet Des territoires, trilogie où le rapport au lieu (à la banlieue dans le premier volet) est notoirement politique.
Avec Salle des fêtes ensuite, où il explore un espace de partage qui porte en soi une dimension collective et intrinsèquement politique dans un contexte rural. Comme on le verra, la notion de lieu entraîne également un rapport à l’espace scénique déterminant.
Il y a commun : le commun, ce qui fait société, ce qui nous rassemble est au cœur du théâtre de Baptiste Amann qui réunit autour de lui des acteur.ices fidèles et crée des pièces fresques pour plusieurs personnages en partie inspirés des acteur.ices eux-mêmes (les personnages portent les noms des interprètes). Le commun, c’est d’abord celui d’une aventure de théâtre collective.
Il y a Lieux communs : au sens propre, on pourrait dire que l’un ne va pas sans l’autre chez Baptiste Amann et il est intéressant pour regarder son théâtre de s’attacher à ce sens littéral. Pourtant, c’est peut-être au sens figuré que se réfère davantage l’auteur metteur en scène dans cette nouvelle création. Ainsi, explique-t-il « jusqu’à présent mes pièces s’inscrivaient toutes dans un lieu physique au sein duquel on observait des personnages livrer bataille pour tenter de faire communauté. C’est en rapprochant ces deux éléments que je me suis mis à réfléchir à la notion de “lieux communs » qui m’est apparue comme un des principes actifs de cette époque extrêmement polarisée, dans laquelle nos existences, soumises à une exposition permanente, sont réduites aux amalgames, à la stigmatisation et aux raccourcis systématiques. »
Acteur, auteur et metteur en scène, Baptiste Amann est né en 1986, à Avignon, dans un quartier populaire loin des remparts : il n’a découvert le festival qu’une fois au lycée option théâtre.
A cette époque, la ville est encore très clivée entre le centre historique, intra muros, (celui du festival) et les cités qui s’étendent bien au-delà. Les deux mondes s’ignorent complètement. Dans la famille où grandit Baptiste Amann, on ne va pas au théâtre. Il se découvre un goût pour la scène dans une Maison pour tous, où il suit des ateliers cirque et hip hop. Repéré dans ce contexte, il entre en section théâtre d’un lycée du centre par dérogation. Les ateliers pratiques de l’option théâtre ont lieu à la Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon, lieu dédié aux écritures contemporaines. C’est donc par le prisme des écritures contemporaines «à travers des textes assez déconstruits», qu’il découvre le théâtre.
A l’inverse de la plupart des gens, Baptiste Amann n’a découvert les classiques qu’après. De 2004 à 2007, il étudie à l’ERACM, l’école régionale d’acteurs de Cannes Marseille. En 2013, il écrit le premier volet de sa trilogie Des territoires (Nous sifflerons la Marseillaise…), prix Bernard-Marie Koltès des lycéens, initié par le TNS, en 2017, date à laquelle elle est créée à Théâtre Ouvert. La trilogie complète, d’une durée de 7 heures, Des territoires, est créée au festival d’Avignon en 2021. En janvier 2022, lors du festival Odyssées-en-Yvelines, Baptiste Amann crée le monologue Jamais dormir, sa première pièce jeune public, conçue pour être jouée dans les écoles comme en salle et qui tournera hors les murs à Montreuil. Ses pièces éditées en tapuscrit à Théâtre Ouvert font leur entrée aux éditions Actes-Sud Papiers. Baptiste Amann est artiste associé au Théâtre public Montreuil où il a présenté Salle des fêtes en mars 2023, ainsi que Jamais dormir. Lieux communs a été créée en juillet 2024 au Festival d’Avignon.
Le théâtre de Baptiste Amann est très écrit, la partition de chaque personnage est consignée au mot près bien avant les répétitions. Il n’y a pas d’improvisation, pas d’écriture collective. Il écrit des fictions inspirées par des acteur.ices dont la plupart travaillent avec lui depuis plusieurs années. Pourtant, quand il a démarré sa pratique de jeune auteur, la fiction n’allait pas de soi.
Dans la trilogie Des territoires et Salle des fêtes, il adopte une forme narrative éclatée où les scènes réalistes alternent avec des intermèdes et des séquences plus poétiques. Dans Lieux communs il part du motif du fait divers pour développer une forme dialoguée plus classique agencée à la manière d’une enquête.
« Ceci est la reconstitution bien réelle d’événements absolument fictifs décrivant les trajectoires de personnages absolument fictifs par la médiation d’acteur.ices bien réel.les qui ont accepté à partir d’éléments absolument fictifs de restituer dans le réel les vérités absolument fictives de chacun.es d’entre ell.eux ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Quels sont les termes importants ici ? quel est l’effet de la répétition du mot fictif ? Une vérité peut-elle être fictive ?
B.A pose ici le rapport au réel, et la relation fiction/réel : ce qui est réel, nous annonce-t-il, c’est le théâtre qui se déploie devant nous, ainsi que les acteur.ice.s, tout le reste est fiction.
Au cinéma on dirait : « toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence ».
Cet avertissement, en forme de pied de nez, où BA use et abuse du terme « fictif » par jeu, est aussi une façon pour l’auteur d’affirmer aussi le choix délibéré de la fiction et son entière liberté.
Le terme de Reconstitution, d’ordinaire utilisé dans un contexte documentaire, lorsque la matière de départ est réelle, entretient l’ambigüité.
La question de la vérité se pose aussi au niveau de la justice : l’accusé a été reconnu coupable suite à des aveux arrachés sous la torture : dès lors que vaut cette vérité ?
L’auteur part d’un fait divers et de ses résonnances politiques pour nous entraîner dans l’envers de nos représentations, dans l’envers du tableau par l’intermédiaire de quatre arrières-décors, la partie immergée de l’iceberg. Par ce geste, peut-être nous incite-t-il à questionner nos présupposés ?
Ainsi explique Baptiste Amann : « lorsqu’une situation nous expose, nous prenons le risque d’apparaître comme une caricature de nous-mêmes, parce que nous sommes sur la défensive. Qelle place reste-t-il alors pour l’incertitude, pour l’expression d’une vulnérabilité ? Ce texte est plutôt parti d’une réflexion théorique voire existentielle sur notre rapport tourmenté à l’irrésolu »
1er arrière-décor et premier « lieu commun », au sens littéral, pour Baptiste Amann
« les coulisses d’un théâtre : Il y a un effet de mise en abyme : les spectateur.ices se trouvent face à eux-mêmes, au trou noir de la salle, ou au 4e mur ou à d’autres comme ell.eux.
Il y a un effet de trompe -l’œil « la manifestation à l’extérieur a retardé l’accès au théâtre d’une partie des spectateurs » le personnage de metteuse en scène Caroline semble s’adresser à nous mais s’adresse en fait aux personnages de la pièce qui sont des comédiens (ils sont des comédien.es qui jouent le rôle de comédien.nes), en même temps qu’en tant que personnage, elle s’adresse au public que nous sommes.
De la même manière, BA entraîne les spectateur.ices dans la « cuisine interne » du théâtre, il nous donne à voir ce qu’il se passe en coulisse juste avant l’entrée en scène des artistes, des voix se répondent, dispersées dans l’obscurité. La rumeur du public se fait grandissante.
Didascalie « On distingue les silhouettes nerveuses de la troupe. On devine le trac, l’appréhension, la concentration. Un ballet silencieux s’organise dans la pénombre. Chacun prend son poste. »
Distribution les acteur.ices jouent plusieurs rôles, prêtez attention à la façon dont sont distribués les rôles, avez-vous remarqué par exemple que l’actrice (Alexandra Castellon) qui joue le rôle de l’actrice en conflit avec la metteuse en scène joue également le rôle de la cinéaste qui n’est autre que l’ex compagne de la metteure en scène. A votre avis pourquoi ? Tout fait signe tout fait sens.
2e arrière-décor, nous sommes dans les loges,
dans l’envers, d’une émission de télévision, une émission culturelle.
Changement radical de sujet qui incite les spectateur.ices à construire les liens manquants entre ce à quoi ils assistent et la séquence précédente.
Quel(s) rapport(s) entre les 2 parties ? Autour de la table, le conservateur du musée Soulages à Rodez nous donne des clés : « dans la tradition picturale, disons depuis la renaissance, la peinture est une « fenêtre », qui donne l’illusion de voir le monde sur une surface plane. Et bien pour Soulages la peinture est un mur ». Comment cette réflexion fait-elle écho à la scénographie du spectacle ?
Inspiré par l’œuvre de Pierre Soulages et par l’analyse d’Alfred Pacquement, l’ancien directeur du Musée d’art moderne à propos de cette œuvre (« dans la tradition picturale, disons depuis la renaissance, la peinture est une « fenêtre », qui donne l’illusion de voir le monde sur une surface plane. Et bien pour Soulages la peinture est un mur »), Baptiste Amann et le scénographe Florent Jacob ont travaillé sur la dialectique mur/fenêtre, sur la couleur noire mais aussi sur la notion de cadre, de lumière. L’espace est comme un grand mur pourvu de fenêtres qui s’éclairent successivement ou restent dans l’ombre selon la scène. Le noir, avec sa charge de mystère, est aussi la couleur que l’on associe aux intrigues policières. Florent Jacob est aussi l’éclairagiste de la compagnie. Ici l’espace et la lumière sont particulièrement imbriqués, la façon dont il joue de la transparence et de l’opacité est porteuse de sens.
Pierre Soulages peintre français, mort en 2022, à l’âge de 102 ans, était célèbre pour ses peintures noires à la touche très travaillée, paradoxalement centrées sur la question de la lumière
Cette question de la lumière est intéressante à déplier sur le plan philosophique : qu’est-ce qu’on choisit d’éclairer au théâtre ? Ouvrir un espace mental « c’est le spectateur qui doit construire, par ses émotions, le sens d’une œuvre. » Est-ce que derrière la distinction abstrait/ figuratif et le débat qui s’ensuit il n’est pas question aussi du rapport de BA au théâtre et à l’écriture.Le journaliste : « C’est une relation très intuitive, très sensuelle, à la matière qui est sollicitée.
Comment expliquer alors que ces courants artistiques - moins conceptuels qu’organiques, finalement- aient cette aura négative « d’art cérébral » réservé à un public de niche ? » « Le regard doit pouvoir s’exercer aussi sur ce qu’il ne voit pas. Ouvrir d’autres images derrière l’image », affirme le conservateur.
« L’ombre entre autres dons, favorise la possibilité d’échanges entre des éléments qui semblaient contraires. Il y a une mise en conscience qui se fait mieux dans l’obscurité que dans la lumière. Il s’agit de travailler sur tout ce qu’un corps émet qui n’est pas forcément visible et qui ne passe pas forcément par l’échange direct. On tombe alors sur une évidence : mettre le spectacle dans l’ombre et parler très bas, c’est faire bouger pour l’œil, pour l’oreille, les seuils de perception », ainsi écrit-il dans son livre L’Etat d’incertitude (les Solitaires intempestifs), où il évoque aussi à plusieurs reprises la physique quantique à laquelle se réfère également, dans la pièce, le scientifique Emile Klamp, à travers l’évocation des bozons de Higgs, une authentique théorie physique.
Dans cette séquence de la loge, BA assume une approche ambivalente entre sérieux et ironie, il propose aux spectateur.ices une forme de jeu de pistes autour de l’abstraction et de l’invisible. Le ton dérive de plus en plus vers l’ironie.
La séquence s’achève avec l’annonce par le journaliste d’une nouvelle invitée : une réalisatrice « lesbienne, gitane et féministe » : BA joue avec notre propension à mettre des étiquettes partout. La relation Indra et Caroline offre un lien visible entre les deux séquences.
Dernier changement de décor, on se retrouve face à deux personnages dans un atelier de restauration de tableaux où il est question de la restauration d’un tableau qu’on ne verra pas.
Quel est le lien avec les parties précédentes selon vous ? y a-t-il des connexions visibles et d’autres plus souterraines ? Le meurtre, ce que l’on ne voit pas, l’envers des choses.
Le tableau s’intitule « Yvan le terrible tue son fils ». On apprend dans la pièce qu’il s’agit du chef d’œuvre d’un des plus grands peintres réalistes du 19ème siècle : Ilia Répine. Le tableau a été peint entre 1883 et 1885. Il relate un épisode tragique de la vie du tsar surnommé Ivan le terrible qui, dans un accès de colère, en vient à porter un coup mortel à son fils Ivan Ivanovitch. La toile, que nous commentent les personnages de la pièce, mais qu’on ne voit pas, montre le visage fou et torturé par le remords du tsar assassin et la douceur du tsarévitch mourant, pardonnant de ses larmes son père.
Le tableau peint dans un contexte de forte répression politique et d’exécutions suite à des attentats commis par les narodniki, issus du mouvement paysan Terre et liberté, revêt aussi un sens politique : la Russie assassine ses enfants. Il est lacéré à plusieurs reprises.
Dans le contexte actuel, le récit autour du tableau peut renvoyer aussi à l’Ukraine : d’ailleurs le peintre russe est en fait ukrainien…
On ne voit pas le tableau que regardent les personnages : écho à la question de l’invisible de voir l’image derrière l’image. La stagiaire du restaurateur évoque Le portrait de Dorian Gray, l’histoire d’une peinture qui vieillit et enlaidit alors que son modèle reste jeune et beau.
Dans ce roman fantastique et philosophique, écrit en 1890, Oscar Wilde renouvèle le motif du pacte faustien, et creuse les thèmes de l’art, de la beauté, de la jeunesse et de la morale et nous incite à voir dans l’envers des images et des apparences. On peut aussi y lire un écho au mythe de la caverne de Platon où les humains enchaînés croient voir la réalité alors qu’ils n’en perçoivent que l’ombre projetée, autrement dit les apparences.
Cette question de la vérité des images est intéressante aussi à poser dans le contexte actuel de fabrication d’images à des fins politiques, à la multiplication des fake.
Comment comprendre cet intitulé ? Après les scènes d’exposition, dans la première partie, nous entrons dans le conflit proprement dit, nous observons une montée en tension. Les mêmes espaces, les mêmes protagonistes, un cran au-dessus. Le sous-sol (Reconstitution 2)
Retour au sous-sol du commissariat
Nouvelle déposition d’Issa, nouvelle version des faits et éclairage sur le contexte politique, deux façons de mener l’enquête.
Les Coulisses (Reconstitution 2)
Passage du personnage d’Issa du commissariat vers les coulisses : porosité d’un espace à l’autre, BA nous invite à considérer les situations qui s’offrent à nous sous un autre angle.
Clash entre Caroline et une des actrices, Alexandra, jouée par Alexandra Castellon, qui joue aussi Indra, l’ex de Caroline : BA joue à cache-cache entre acteurices et personnages d’acteurices
La Loge
Clash entre une jeune journaliste de l’émission et Indra lors d’une interview qui commence sur un ton léger et finit en conflit ouvert à propos de #Metoo, plainte… Baptiste Amann nous livre ici quelques clés : « Dans les deux premières parties de la pièce, nous sommes dans un théâtre de situation. C’est le temps de la reconstitution. Nous «rejouons » les scènes du drame pour essayer à chaque fois de mieux les comprendre et les décortiquer. À la fin de la deuxième partie, nous aboutissons à une scène de violence paroxystique qui va engendrer une impasse mais qui va créer aussi un nouveau cadre perceptif, un autre usage du langage. La troisième partie devient plutôt un théâtre de récit. Les acteurs et les actrices n’ont plus la fonction d’être ces personnages que nous observons par le trou de la serrure, pris par des destins qui les dépassent. Ce troisième mouvement permet de restaurer leur fonction de témoins, à la place du public. Ils partagent alors avec nous une intériorité à laquelle nous n’avions pas accès dans les deux premières parties et nous permettent, peut-être, de réviser notre jugement. »
A travers ces scènes qui déraillent vers des situations de conflit, BA ausculte des questions actuelles de représentation, de forme, de cadre, mais aussi de réversibilité des concepts à travers le rapport à Tik Tok, l’adresse aux jeunes, le statut de la parole… sous différents angles.
Il ne nous propose pas seulement de voir dans l’envers des choses mais il en fait le tour, adopte le point de vue d’un personnage puis un point de vue exactement contraire par la voix d’un autre personnage. A travers le dialogue entre Indra et Charlotte, il met au jour les différents points de clivage (politique, générationnel, classes sociales, origines, question de genre…) qui traversent la société aujourd’hui et montre à quel point elle est fracturée mais aussi comment les concepts peuvent se retourner : ainsi le combat #Metoo peut aussi servir les desseins de l’extrême-droite : «la défense des femmes est un motif récurent des systèmes racistes »…
BA fait le tour de chaque question, il fouille dans le contradictoire, les personnages évoluent et deviennent des figures réthoriques. Ainsi Charlotte, personnage emblême des jeunes femmes victimes des violences faites aux femmes, devient à son tour agresseuse.
On découvre qui sont Pascal et Farah, ce qui les relient et leur lien à l’histoire centrale, le fait divers.
Téléscopage des espaces entre eux qui dans la partie 1 apparaissaient bien séparés, les dialogues tissés entre eux offrent une forme de feuilleté. La loge et l’atelier se téléscopent.
Dans cette partie, BA explore la notion d’«irrésolu » :
« Dans ce climat propice aux conflits, nous alimentons parfois, à notre corps défendant, les dispositifs d’assignations que nous subissons. Lorsqu’une situation nous expose, nous prenons le risque d’apparaître comme une caricature de nous-même, parce que nous sommes sur la défensive. Quelle place reste-t-il alors pour l’incertitude, pour l’expression d’une vulnérabilité ? Ce texte est plutôt parti d’une réflexion théorique, voir existentielle sur notre rapport tourmenté à « l’irrésolu ». C’est autour de ce concept que le régime de la fiction m’est apparu. Le thriller a l’avantage de mettre en place une enquête, qui a quelque chose de très jubilatoire, mais qui est alimentée ici par des questions plus profondes sur les notions de représentation et de qualification de la vérité. Le fait divers qui tient entre elles toutes les situations de la pièce, créé un paysage éruptif, pour que s’exprime des contradictions et des ambivalences sur lesquelles il est très difficile de trancher. »
Il s’agit d’explorer les contradictions et de déjouer les archétypes. Cette partie s’achève sur une scène d’une grande violence : l’interrogatoire d’Issa vire à la torture pendant que la petite fille de Réhault laisse un message à son papa, elle se réjouit de retrouver bientôt son papa, « le meilleur des papas » qui va l’emmener à la fête foraine… Contraste énorme entre ce qu’on lit et ce qu’on voit : analysez le rapport texte/image, quel est l’effet produit, le but de la scène ? que nous dit BA : que nous sommes multiples ? qu’on peut avoir plusieurs facettes, être un père aimant et en même temps un policier aux agissements limite. BA va au bout de la situation.
A nouveau, la pièce nous invite dans les mêmes lieux avec les mêmes personnages mais cette fois, ils ne sont plus en jeu face à face mais face à nous. Les personnages sortent de la narration pour s’en faire les commentateurs et nous livrer le contexte de leur histoire, notamment les violences patriarcales subies de part et d’autre, cette fameuse partie immergée qui fait que tout est plus complexe que ça en a l’air. Pour Baptiste Amann le théâtre est le « lieu de la dissection de nos affects ».
Aux origines du mal, la figure du père ?
La question de la figure du père (père de la victime, père du présumé coupable, père sur le tableau, père d’Indra dont la mort la ramène à ses racines corses) est centrale dans la pièce :
« Le père est ici l’allégorie du virilisme, dit-il. c’est Dieu c’est le Tzar Yvan, c’est le monstre qui se balade dans le spectacle de Caroline, c’est l’état policier, c’est le capitalisme libéral. C’est le patronage d’un système d’oppression qui impose son cadre normatif. Ce virilisme infernal qui agit comme une sécrétion corrosive et qui détruit les gens, a fortiori les femmes, mais aussi les hommes entre eux. » Pascal « C’était surtout l’ambition de mon père, cette histoire de musique. (…) Il considérait que ses enfants devaient briller dans un sport et maîtriser un instrument. Le mythe de l’homme complet j’imagine… » Quelles sont les différentes figures du père qui se font jour dans cette 3e partie ?
A la figure du père ouvrier dévoré par l’amiante du monologue d’Indra répond peut-être la figure mythique d’Hamlet du monologue final de Caroline — la relation au père est l’un des motifs centraux de la pièce de Shakespeare — mais également la figure de père de la nation incarnée par le président de la République ?
Que pensez-vous de cet éclairage contemporain de l’une des plus célèbres citations du théâtre occidental ? To be or not to be mis en relation avec ce moment de télévision où Macron évoque ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien : « Il ne s’agissait plus d’opérer une distinction symbolique entre la vie ou la mort, mais une distinction politique entre l’existence et l’inexistence ! » Elle boucle la boucle de la pièce puisqu’elle nous lit le texte qu’elle ne voulait pas lire au début et finit par ces mots « je vous souhaite à toutes et tous un très bon spectacle ».
Que vous inspire le texte projeté ?
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