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TON CORPS MA TERRE

Tatiana Spivakova

Avec son théâtre poétique, l’autrice et metteuse en scène Tatiana Spivakova nous raconte la trajectoire morcelée d’une femme qui se bat pour le retour à la vie de l’être aimé, plongé dans le coma.

 

 

Assise dans l’avion pour un voyage dont on ne saurait dire si c’est un aller ou un retour, une femme convoque ses souvenirs dans l’espoir d'une réparation, d’une réconciliation avec le passé. Nous sommes projetés à l’hôpital où elle fait face à son homme inconscient. Elle entame alors un dialogue avec l’absent, lui écrit, lui parle, lui lit des œuvres de Mahmoud Darwich. La figure du poète en exil devient une présence salvatrice et le miroir dans lequel le patient et l’étranger se reflètent.Ton Corps - Ma Terre, c'est le destin de cette femme portée par une incroyable détermination ; les scènes de sa vie s'enchaînent comme des flashs, la poésie surgit de l’aride, la mélodie du oud nous plonge dans un ailleurs… Un théâtre-monde dont s'emparent cinq comédien·ne·s et un musicien avec une justesse infinie.

 


 

Aller à l'essentiel avant votre venue au spectacle

Le titre


Le titre évoque un rapport de réciprocité dans l’altérité. Le corps de l’autre, l’être aimé, est ici comparé à la terre, au sens des racines, par le pronom possessif. C’est le lieu où l’on s’ancre, auquel on appartient, la terre des origines. Deux dimensions émergent à travers cette équivalence, à la fois celle de l’intime et celle de l’universel.

 

Ton corps - ma terre est le premier texte de Tatiana Spivakova. Inspirée de faits réels, maintes fois remaniée, la pièce évoque à la fois la figure du poète palestinien Mahmoud Darwich et le combat pour la vie d’une femme qui veille son amoureux plongé dans le coma. Par les vers de Mahmoud Darwich, une femme renoue avec les souvenirs d’une période douloureuse de sa vie : les longs mois passés à l’hôpital, au chevet de l’être aimé. La pièce tisse un parallèle entre l’exil de l’esprit sorti du corps et l’exil du corps arraché à la terre. La poésie de Mahmoud Darwich est comme un véhicule entre ces deux dimensions, ses mots portent une idée de résilience, leur force permet de ssurmonter la tragédie. Ainsi, la figure du poète est présente dans chaque personnage, comme un passeur entre le conscient et l’inconscient, entre le tangible et l’invisible, entre l’homme et sa terre - mère.

 

Vus à travers les yeux de cette femme amoureuse, habitée par une incroyable foi en la vie, les murs blancs de l’hôpital ouvree vers d’autres espaces, d’autres dimensions où les frontières ne sont que fictions. Guidée par le son enveloppant d’un oud joué en direct qui est comme la voix du poète, Ton corps – ma terre est un voyage musical sur l’impermanence des choses, dans lequel plusieurs niveaux de langue s’entrechoquent, la poésie face au jargon médical, la logorrhée et le silence, le lexique sec militaire et la musicalité des mots d’amour. La pièce interroge notre rapport au sacré dans notre relation au corps et creuse la question infinie de l’exil. Elle évoque la place centrale du langage et la force de la poésie, dans notre accès à l’autre et au monde.

 

 

 

Tatiana Spivakova 


Formée en musique au Conservatoire régional d’Aubervilliers puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, Tatiana Spivakova est une actrice et metteuse en scène qui signe avec Ton corps - ma terre son premier texte de théâtre, crée au Théâtre public de Montreuil où elle est artiste en résidence. Traversé par les thématiques de l’exil, des frontières, des langues et de la poésie, ce premier texte porte de nombreuses questions chères à l’autrice qui nourrit un rapport à la poésie et aux langues très intime.

Née à Moscou, en Russie, dans une famille de musiciens de culture juive et arménienne, Tatiana Spivakova a grandi en Espagne avant d’arriver en France avant l’âge de 12 ans, puis de séjourner jeune adulte à Londres. Le voyage, le déplacement font partie intégrante de son identité. Le français qu’elle parle couramment  est sa troisième langue. C’est en français qu’elle a écrit sa pièce, mais c’est en russe qu’elle rêve et qu’elle se met en colère. Avec l’anglais, elle en parle couramment quatre langues et se produit en tant qu’actrice sur différentes scènes à l’international et dans des films de réalisateurs de différentes nationalités.

Quand Tatiana Spivakova dit que, pour elle, les frontières n’existent pas, ce n’est pas juste une façon de parler. Passée à la mise en scène, elle a signé plusieurs spectacles remarqués, dont Les Bas-fonds de Gorki au Conservatoire, Les Justes de Camus ou encore Passagères de Daniel Besnehard, pièce sur l’Union soviétique située dans les années 1930, aux pires heures de la répression stalinienne, qu’elle a mise en regard avec des vers de la poétesse russe Anna Akhmatova, retraduits par ses soins. La poésie, comme pour beaucoup de ses compatriotes, tient une place primordiale dans sa vie depuis la petite enfance.

 

 

 

La poésie et l'écriture de l'intime 

 


Dans sa pièce, Tatiana Spivakova parle avant tout de la poésie, de sa dimension, de sa présence et de ce qu’elle permet d’une écriture de l’intime. « Ce que je veux raconter c’est comment la poésie nous sauve dans les grands moments de la vie, quand on tombe amoureux, quand on se sépare, face à la maladie, la perte, l’errance, l’inconnu, la séparation… Souvent on va chercher à se reconnaître dans l’art. La poésie a accompagné, jalonné, beaucoup de moment de ma vie, ça fait partie de ma culture. Là d’où je viens il y a cette culture de l’oralité, le fait de connaître des poèmes par cœur… J’ai su des poèmes de Pouchkine avant même de savoir écrire ! » La poésie s’impose ici comme langue universelle, « c’est un refuge dans mon éducation et dans ma vie » dit Spivakova. Une terre pour celui qui n’a plus de terre, dit Mahmoud Darwich.

Comment l’artiste originaire du Caucase a-t-elle croisé l’œuvre de Darwich, dont la poésie est irrémédiablement liée à sa Palestine natale ? « Il me parle à l’endroit de l’exil, dans sa quête de toit, de refuge. Il y a, en arabe, le mot « baÿt » qui signifie à la fois le ver poétique et la maison, et cette homonymie est pour moi très évocatrice de la poésie de Darwich. En découvrant Darwich, j’ai ressenti comme un coup de foudre, comme si on s’adressait directement à moi. La quête d’un chez-moi ne m’a jamais quitté, la question de l’exil fait partie de l’histoire de ma famille ». Tatiana Spivakova est issue d’une famille juive arménienne, c’est-à-dire d’une minorité qui comme les Palestiniens a dû fuir, quitter sa terre. L’exil, l’errance, la diaspora font partie intégrante de l’identité des Arméniens comme des Palestiniens. Pour Tatiana Spivakova comme pour Mahmoud Darwich, et pour nombre de personnes exilées, la langue maternelle est le lieu de l’enfance, le foyer de l’intime lorsqu’on a dû quitter sa maison, sa terre natale.

 

 

Mahmoud Darwich



Mahmoud Darwich et la passion de Tatiana Spivakova pour sa poésie sont à l’origine de Ton corps - ma terre. « Mahmoud c’est l’origine », dit le personnage de l’ami au début de la pièce. Né en 1941 à Al-Birwa et mort en 2008, aux Etats-Unis, le poète palestinien Mahmoud Darwich est considéré comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Al-Birwa, son village natal située autrefois en Palestine, vers la ville sainte de Saint-Jean d’Acre, non loin de Nazareth, et localisé aujourd’hui au nord d’Israël, a été occupé puis rasé par l’armée israélienne à la fin de la guerre de 1948, qui débouche sur la naissance de l’Etat d’Israël. Date à laquelle la famille de Mahmoud Darwich fuit au Liban, avant de revenir et de s’installer plus tard à Haïfa.

Membre du comité exécutif de l’OLP (organisation de libération de la Palestine), journaliste et auteur engagé, Mahmoud Darwich a été plusieurs fois arrêté, emprisonné et assigné à résidence pour des écrits jugés trop politiques. Il a vécu au Caire, à Tunis, puis à Paris. En 1995, il a été autorisé à rentrer pour voir sa mère. Il est enterré à Ramallah. Sa poésie, de facture lyrique, est indéfectiblement lié à sa terre natale. La Palestine, l’exil, la mémoire sont quelques-uns des thèmes qui occupentson œuvre. Il est traduit en français par Elias Sanbar, poète, essayiste et personnalité politique palestinien exilé à Paris.
 

Le poème 


Le poème cité au début de la pièce par le personnage de l’homme est Sur cette terre. Tiré du recueil La Terre nous est étroite et autres poèmes, il est tout à fait représentatif de la poésie de Mahmoud Darwich, il est très connu. Les frères Joubran, fameux trio de oudistes palestiniens, en ont créé une magnifique version musicale (ici avec la voix de Mahmoud Darwich) 

« Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie :
l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes,
les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour,  l’herbe sur une pierre, 
des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie :
la fin de septembre, une femme qui sort de la quarantaine, mûre de tous ses abricots, 
l’heure de soleil en prison, 
des nuages qui imitent une volée de créatures, 
les acclamations d’un peuple pour ceux qui montent, souriants, vers leur mort 
et la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : 
sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. 
On l’appelle désormais Palestine. 
Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame. »

 


 

Une équipe internationale 



Même si toustes travaillent en France et communiquent en français, la plupart des personnes impliquées dans la création — que ce soit les acteur.ice.s, le musicien mais aussi l’éclairagiste, la scénographe…— ont des origines différentes (russes, algériennes, sénégalaises, libanaises, marocaines, chiliennes…) et un rapport très quotidien, très physique à la langue. Cette question d’incarner une langue sur un plateau, de faire entendre sa musique, n’est pas uniquement un sujet porté par la metteuse en scène, il résonne aussi particulièrement pour toute l’équipe. Ce rapport aurait sûrement été très différent avec une équipe française. Le refus des frontières de la metteure en scène s’incarne aussi à cet endroit-là.

 

 

Que dire à mes élèves après le spectacle ?

La figure universelle du poète


La figure du poète Mahmoud Darwich est au cœur du spectacle.
Mue au départ par l’idée d’écrire un spectacle sur Mahmoud Darwich, sur son histoire et son parcours, l’autrice metteuse en scène Tatiana Spivakova a finalement écrit une pièce traversée par l’esprit de Mahmoud Darwich, par sa voix. Ainsi le texte, qui au départ était truffé de citations, d’emprunts à Darwich, chemine librement dans ses thématiques, mettant ses pas dans les traces de Darwich, qui se retrouve à tous les endroits de la pièce : dans les scènes évoquées, dans les personnages, les thématiques.

Pour qui connaît sa poésie, certains passages, même s’ils ne citent pas explicitement Darwich, font totalement écho à ses poèmes et à son univers. La poésie est universelle, elle n’a pas de frontières, elle transcende les époques. Ainsi, en citant le poème d’Antonio Machado, Caminante no hay camino, (Marcheur, ce sont tes traces/Le chemin et rien de plus ; /Marcheur, il n'y a pas de chemin/ Le chemin se crée en marchant…), l’autrice établit un pont entre la poésie de Darwich et celle de Machado, entre l’exil du poète palestinien et celui du poète espagnol, entre deux époques, celle des Républicains espagnols et celle du peuple palestinien. Machado et Darwich, ne se sont pas connus, le premier est mort quelques années avant la naissance du second, mais leurs voix communiquent et se font écho à travers la poésie.

 

 

La musique


Musicienne, élevée dès l’enfance dans la musique — son père est violoniste et chef d’orchestre, son grand-père également, ses 2 grand-mères étaient pianistes —, Tatiana Spivakova conçoit la musique comme un langage en soi. Ici le musicien, joué par l’instrumentiste marocain Yacir Rami, est un personnage à part entière. Il évoque à la fois la figure ancestrale du conteur mais également le poète lui-même à travers le son du oud, instrument traditionnel du Proche-Orient souvent associé à la poésie de Darwich. Il fait le lien entre les différents espaces temps, il accompagne la femme dans son voyage à travers ses souvenirs. Il est aussi le seul personnage à être au présent des spectateurs, il agit tel un passeur entre la scène et la salle

 

 

 

Le mythe d'Orphée  

 


On peut lire dans cette histoire d’une femme qui va chercher son homme jusque dans les espaces indéfinis du coma comme une relecture du mythe d’Orphée : ce poète à la lyre qui charmait toutes les créatures par la puissance de son chant et qui s’aventura jusque dans les enfers pour réclamer Eurydice, son épouse défunte, à Hadès, le maître du royaume des morts… Ici, c’est la femme qui, par sa foi, sa constance, et la force de la poésie, parvient à ramener son compagnon à la vie 

 

Jeux de langage 



La langue est au centre de la pièce. Tatiana Spivakova se joue des différents niveaux de langage, elle nous fait aborder la langue par sa musicalité. Les sons d’une langue, sa musicalité, sont des notions très présentes pour la jeune artiste qui a grandi dans un univers très musical. Si le oud, instrument typiquement palestinien, est présent sur le plateau et semble accompagner le récit de la femme qui retrouve sa mémoire douloureuse, la musique est également présente dans les mots. Aux mots du poète, lancés par le personnage de l’ami, au début de la pièce, répondent toutes sortes d’autres langages que Spivakova joue à confronter.

A la poésie, répond le langage protocolaire et tranchant de la police, et le jargon des médecins qui, truffé d’acronymes, sonne presque comme une langue étrangère, une langue qui crée de la distance avec les familles des personnes malades. Pour l’autrice, la langue du poète est à la fois très concrète et très lyrique. « Il y a de ça dans les cultures de l’est où dans la même phrase on peut vous demander de passer du sel et vous parler de votre âme. La poésie vient sublimer la vie en logeant de l’universel dans chaque petit détail qui peut paraître insignifiant, même moche, et devient d’un coup, par la poésie, gigantesque ».

Pour l’autrice, tout se passe comme si Mahmoud Darwich était présent dans tous les personnages. La situation elle-même fait écho à une certaine période de la vie du poète, comme la maladie évoquée dans le long monologue Murale, écrit suite à une de ses opérations du cœur où il a traversé un épisode de coma. « Darwich a toujours mélangé les niveaux de langue, fait parler des officiers, des soldats, l’autorité médicale. Il évoque les oiseaux au même titre que les officiers, avec le même soin, il ne dénigre pas, chaque personnage a sa part d’humanité ».Ainsi, le personnage du médecin qui apparaît au début très dure, montre peu à peu un visage plus empathique, elle est modifiée par sa rencontre avec la femme. A travers elle, nous voyons plusieurs facettes d’un même personnage¬ ¬— « nous sommes pluriels » dit l’autrice.

 


 


 

Un niveau réaliste et une dimension plus métaphorique


 
« Etre séparé de force de l’être aimé, c’est comme être séparé de sa patrie", analyse Tatiana Spivakova. Darwich a une manière de parler de sa terre natale comme il décrirait le corps de la femme aimé. La géographie du corps me parle. Ça m’a semblé juste de tisser ces dimensions-là, au fur et mesure, à force de lui lire ces poèmes, la femme voit l’homme aimé à travers la figure du poète, il est comme cette âme errante qui cherche sa patrie. J’ai cherché à mettre en parallèle l’exil de l’esprit arraché au corps et l’exil du corps arraché à sa patrie. Au même titre que l’être aimé dans le coma cherche à regagner son corps, le poète tente de revenir chez lui. Ce chez lui, pour le poète, est à l’intérieur du vers parfait qu’il cherche à écrire mais aussi en Palestine. Ce chez lui n’existe plus, puisque son village a été effacé de la carte, il ne reste que la poésie. Ainsi quand les médecins lisent un scanner du cerveau, ils voient que certaines zones ne fonctionneront. L’esprit devra emprunter d’autres chemins comme un peuple essaye de revenir chez lui en créant de nouvelles routes ». Ce parallèle singulier lui a été inspiré par des faits réels observés à l’hôpital où l’autrice a passé plusieurs mois.

 

Visibiliser l'invisible 


 
« Quand on veille un malade, quelqu’un en transit, en exil intérieur, on entre dans un dialogue tacite avec l’invisible, que l’on soit croyant ou non croyant. Comme quand on écoute du Tchaïkovski ou du Bach et qu’on a l’impression que notre âme se soulève et qu’on entre en communication avec quelque chose d’autre que le tangible ».
La pièce se déroule sur deux plans, une dimension réaliste et un niveau plus métaphorique et passe souvent de l’un à l’autre sans transition, comme si les deux dimensions coexistaient voire se télescopaient. Ainsi quand le médecin parle à la femme et que celle-ci semble couler le long de son siège puis, d’un coup, répond de manière très concrète.
« Pour moi, les frontières n’existent pas » affirme l’autrice. Ce qu’il faut entendre sur le plan géographique et politique - les frontières d’un pays à l’autre   se conçoit aussi pour elle sur un plan plus métaphysique, les frontières entre le visible et l’invisible.

 

Scénographier l'espace du dialogue 


 
L’espace, conçu par la scénographe Salma Bordes, est poreux, il n’y a pas de limites, pas de cadre. Différents espaces temps dialoguent sur le plateau — l’hôpital, l’avion, la douane, le temps présent, l’espace du souvenir, celui de l’inconscient — par le cheminement de la femme… Le théâtre permet de faire communiquer ces espaces au même titre que les objets, les personnes, notre rapport au corps et au sacré. Dans la société occidentale, relève Tatiana Spivakova, qui vient d’une culture d’avantage tournée vers l’Orient, il y a un rapport très tabou à ce qui vient après la mort. Pour elle, de tout temps, le rituel du théâtre permet d’entrer en connexion avec la mort, avec l’absent. « Il est impossible pour moi de concevoir qu’on ne ferait ça que pour les présents » dit-elle.
Des chaises qui s’envolent, un manteau qui se désintègre, une tâche sur la blouse du médecin…

La metteuse en scène joue à établir ce dialogue entre le visible et l’invisible dans le contexte de l’hôpital, c’est-à-dire dans un milieu aseptisé, où d’ordinaire ces choses-là n’ont pas leur place. « Comme dit la femme dans la pièce, si on croit quelque chose ensemble on a plus de chance d’y arriver, ce qui existe c’est ce en quoi tu crois et si on décide d’y croire on voit beaucoup plus de signes qu’il n’y paraît ». Ainsi la chambre de l’hopital se charge petit à petit de fleurs, de bougies, de photos… autant d’éléments qui ont ici un rôle presque magique pour soutenir la force dans le personnage de la femme.

L’écriture fragmentaire renforce cette porosité entre les mondes tout comme le morcellement des espaces répond à cette écriture du fragment. L’histoire se raconte en pointillés par cycle, par boucle. Au début, nous sommes dans l’avion avec Elle, puis nous la suivons dans l’espace des souvenirs, des flashbacks, sur la plateforme blanche qui représente aussi le monde de l’hôpital. L’espace tout autour s’apparente à une sorte de désert bleu, la nuit, la mer, un espace surréaliste, une forme de non-lieu, l’espace de l’inconscient. Pour Tatiana Spivakova, cet espace représente l’errance, le voyage dans l’inconscient de l’homme aimé, le voyage entre la vie et la mort. L’homme et la femme se rejoignent dans cet espace du rêve et de l’oubli. A la fin, la femme revient dans l’espace du présent avec ses souvenirs qui la hantent. La pièce raconte le chemin parcouru par cette femme pour essayer de trouver une place où ranger sa douleur ; il lui faut trouver un espace mental pour ranger ses souvenirs.


 

Rapport au corps


 
La dimension chorégraphique est très importante pour Tatiana Spivakova qui a elle-même beaucoup pratiqué la danse en parallèle de ses études de musique. Le corps est son premier outil de travail. C’est au cours d’un séjour à Londres, il y a dix ans, que la jeune artiste a rencontré Yorgos Karamalegos, qu’elle nomme son « maître », artiste grec et fondateur du Physical Lab, une approche du théâtre par le corps et le mouvement inspiré d’autres techniques et d’artistes tels que Pina Bausch ou Yoshi Oïda… Une approche physique du texte, presque primitive plutôt que cérébrale. Yorgos Karamalegos lui a transmis sa méthode, aujourd’hui, elle dirige des stages de Physical Lab au même titre que lui. Dans son travail de metteuse en scène, elle ne commence jamais une répétition à froid, sans échauffement. L’idée, à travers cette préparation physique, c’est de connecter les interprètes à leur espace inconscient. « C’est première étape dans notre rapport au corps et aux autres, il s’agit de déconditionner son corps de ses habitudes pour trouver une forme d’expression plus libre et plus poreuse à l’histoire, de voir à quel endroit elle nous touche et à quel endroit elle nous déplace ». A chaque personnage, correspond une recherche de corps : la raideur de l’autorité du garde-frontière ; le lyrisme du personnage principal masculin ; une posture de l’écoute pour le personnage principal féminin, comment elle reçoit l’autre, la situation ; un corps plus quotidien de l’amie… « On ne peut pas rentrer sur un plateau comme on rentre dans une boulangerie. Il faut être déjà chaud pour pouvoir recevoir le monde et pouvoir raconter l’histoire à 360 degrés et pas juste avec notre cerveau qui pense ce qui m’intéresse c’est à quel endroit ça raisonne en chacun des interprètes. »


Ton corps – Ma terre passe sans arrêt de l’intime à l’universel. Les personnages ont valeur de figures : l’exilé, la docteuresse, le policier, l’amie… au -delà d’eux-mêmes, ils représentent des situations, des relations, leur incarnation n’est pas réaliste, leur approche est presque stylisée. A travers l’évocation de la poésie de Darwich qui donne à entendre la voix des exilés, qui offre un refuge aux peuples sans terre, la pièce est également porteuse d’un questionnement politique.

 

 


 

Avant le spectacle

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Après le spectacle

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