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spectacle

ZYPHER Z

Munstrum Théâtre

Dans sa dernière création, le Munstrum Théâtre vous précipite dans une société de la post hybridation. C’est là que vit Zypher, un des derniers représentants de l’espèce humaine. Il travaille pour une entreprise dirigée par une éléphante et confie à des robots-esclaves l’exécution de ses tâches domestiques. Cette existence sans encombre prend un tour inattendu le jour où Zypher voit son corps secoué par de soudaines mutations… Conte d’anticipation aux inflexions kafkaïennes, Zypher Z fait la part belle aux puissances de l’inconscient. Passé maître dans l'art de la métamorphose, le Munstrum Théâtre nous entraîne avec jubilation dans les clairs-obscurs de cet objet théâtral inclassable et furieusement drôle.

 

 

Le Munstrum prend ses quartiers au Théâtre public de Montreuil durant un mois pour fêter ses dix ans de création. L’occasion, à travers plusieurs spectacles dont Zypher Z, de découvrir l’univers foisonnant, hybride et puissant de cette compagnie à deux têtes qui renouvelle le langage du masque pour questionner l’envers des êtres.


 

Aller à l'essentiel avant votre venue au spectacle

Munstrum 


Est-ce du latin, est-ce de l’alsacien ? Compréhensible par tous, ce mot de « munstrum », tellement bien trouvé qu’on le dirait vrai, avec cet effet quasi réversible du graphisme, dit bien le projet rêvé par Lionel Lingelser et Louis Arene, les deux acteurs metteurs en scène qui ont fondé la compagnie en 2012 : créer un laboratoire où donner vie à leurs monstres, où rêver ces créatures extraordinaires qui peuplent leurs imaginaires comme les nôtres ; un univers baroque pour sonder l’étrangeté, le mystère du vivant, interroger nos fantasmes et susciter le trouble. Ces êtres chimériques, extra humains ou mutants, comme dans Zypher Z, ou trop humains, dans Les Possédés d’Illfurth. Les monstres sont au cœur de la démarche artistique de la compagnie qui développe un univers visuel puissant, à travers l’usage du masque et des prothèses, mais aussi par le langage du corps, de l’espace, de la musique et de toute la machinerie du théâtre. Autant d’éléments qui se déploient particulièrement dans Zypher Z

Un duo : Lionel Lingesler et Louis Arene 

Formés l’un et l’autre comme comédiens au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, où ils sont entrés en 2006, Lionel Lingelser et Louis Arène ont connu des parcours artistiques différents avant de fonder ensemble le Munstrum en 2012, compagnie au sein de laquelle ils développent des projets communs.

Né à Mulhouse, Lionel Lingelser a travaillé avec différents metteurs en scène, en particulier avec Omar Porras, dont le théâtre très physique utilise le jeu masqué, et avec Olivier Letellier, dans Oh Boy !. Il a aussi travaillé comme acteur pour la télévision et le cinéma. Louis Arène, lui, passé quatre ans à la Comédie française, où il est revenu en 2022 pour mettre en scène Le Mariage forcé de Molière. En parallèle du jeu et de la mise en scène, il a développé toute une approche plastique de la scène à travers le masque et la scénographie.

 

 

 

D'une pièce à l'autre 


Lionel Lingelser et Louis Arene ont abordé des univers aussi différents que celui très noir du dramaturge allemand Marius von Mayenburg et celui plutôt grotesque de l’auteur argentin Copi.

Dans Copi, il y a une dimension grotesque, voire carnavalesque, très forte, et la question des identités est très mouvante.

« La dramaturgie des corps très forte, ces personnages de Copi animés par des pulsions de vie comme dans Les Quatre jumelles, la dimension de l’absurde, nous ont aidé à développer ce théâtre très physique, non réaliste, proche de la marionnette. Le masque permet de décoller du réel de la folle à talon pour créer des figures métaphysiques et déjouer ainsi le tragique de la mort ».

Fort de ces expériences, le duo a eu envie de se lancer dans des projets plus personnels : une grande forme avec Zypher Z, assumant le texte au même titre que l’ensemble de la création, et un solo d’acteur techniquement dépouillé avec Les Possédés d’Illfurth. Deux pièces à la fois radicalement différentes et comme dans l’envers l’une de l’autre.

Clownstrum, le 3e spectacle présenté à Montreuil, offre une référence visuelle directe à May B. de la chorégraphe Maguy Marin, pièce inspirée de l’univers du dramaturge irlandais Samuel Beckett, dont les images ont marqué des générations de spectateurs et d’artistes jusqu’à ceux qui ne l’ont pas vu, ou n’en n’ont vu que des images et les ont rêvés à partir des récits qu’on leur en a fait. « De projet en projet, se dessine l’envie de faire des choses qu’on n’a jamais faites, les projets s’alimentent les uns les autres ». Le prochain projet du Munstrum pourrait bien être un Shakespeare.

Maintenant qu’ils ont accumulé un solide bagage scénique, les deux créateurs ressentent l’envie de s’attaquer à une écriture qui transcende. Leur goût pour les monstres les oriente naturellement vers Macbeth, probablement la plus monstrueuse de l’œuvre du dramaturge élisabéthain.

La compagnie Munstrum fête ses dix ans. Autour de Lionel Lingelser et Louis Arene, travaille toute une équipe, dont beaucoup se sont connu.e.s au Conservatoire : des acteur.ice.s, que l’on retrouve d’une pièce à l’autre habitués à un jeu très physique, des technicien.ne.s, des auteurs, des créateur.ice.s, que ce soit à la scénographie, au son, à la création plastique (marionnettes, masques…) sans qui les projets ne pourraient exister. Ainsi de Carole Allemand, plasticienne, marionnettiste, qui a travaillé pour les Guignols de l’info, sur de nombreux films et sur différents spectacles, qui elle-même travaille avec différent.e.s complices.

 

 

 

 

 

Les monstres  

 


Qu’est-ce que le monstre aujourd’hui ? L’étymologie latine « monstrare » ne renvoie pas à une dimension négative mais plutôt au spectaculaire, à ce qui est extraordinaire.
Le duo du Munstrum se réfère aussi aux montreurs de monstres dans les baraques foraines. Il y a dans le terme de monstre, une polysémie intéressante pour ces deux artistes qui affectionnent particulièrement les paradoxes : le monstre, c’est ce qui fait peur dans les cauchemars d’enfants, c’est aussi celui que l’on montre du doigt, le différent, le hors norme, le déviant, mais c’est aussi à travers cette différence, celui qui montre, qui agit comme un révélateur, qui provoque, qui « amène comme un présage divin » dit Louis Arène.

Augmentée par le travail du masque, la figure du monstre, présente dans tous les spectacles du Munstrum, qu’elle soit fantastique comme dans Zypher Z ou plus réaliste comme dans Les Possédés d’Illfurth, s’accompagne aussi d’un univers de visions, de chimères, d’une atmosphère nocturne, d’un climat sombre et fantastique où la nuit donne le ton et où la mort règne en maître. La mort n’est-elle pas le plus monstrueux des monstres ?

 

 

 

Le masque : ce qu'il cache, ce qu'il revèle 



C’est lors de leurs cours de masque, au Conservatoire, en suivant l’enseignement de Christophe Patty puis de Mario Gonzalez (qui fut le maître du premier), que Louis Arène et Lionel Lingelser ont éprouvé les premiers déclics et bientôt une véritable passion pour cet art qui, soumis à des règles de jeu très strictes, en relation constante avec le public, offre une liberté folle, que ce soit à travers le masque neutre ou le masque expressif.

Lionel, qui parle de sa fascination pour cet outil qui permet de « changer de personnalité, de sexe, d’âge, de redevenir des grands enfants », a ensuite poussé cette pratique avec le metteur en scène colombien Omar Porras, au sein du Teatro Palandro, qu’il évoque dans Les Possédés.Ils ont créé le Munstrum, comme un « laboratoire refuge, un endroit de liberté, pour continuité de creuser cette matière masque qui nous plaisait tant ». Lorsqu’ils se saisissent à leur tour du jeu masqué, beaucoup les découragent d’aller dans cette voie. A l’époque, le masque est vu comme passé, sinon ringard. Aussi ancien que le théâtre, associé au théâtre grec comme à la Comedia dell arte, et expérimenté par les grands maîtres tels que Lecoq, Mnouchkine, Grotowski — des artistes qui se sont intéressés aux pratiques extra-occidentales —, le masque est un outil associé au théâtre traditionnel ou rituel mais loin de la scène contemporaine.

Louis Arène et Lionel Lingelser, eux, l’expérimentent avec des auteurs tels que Lagarce et Copi, des écritures contemporaines jusque-là inexplorées par le masque. Les masques sur lesquels ils ont travaillé au CNSAD sont en bois et en cuir, eux cherchent des matières plus contemporaines. Les masques que crée Louis Arène dans sa cuisine, en plasticien qu’il est aussi, sont faits en matière utilisées dans le secteur médical pour des prothèses orthopédiques, ce sont des matières thermo formable, qui se travaillent à la chaleur. Louis Arène revendique une approche intuitive de l’outil : « petit à petit, nous avons appréhendé la poésie et la métaphysique du masque qui permet de donner aux œuvres un éclairage particulier. Le masque permet de travailler sur l’ombre et la lumière, de révéler les paradoxes. Il possède une dimension comique mais on peut aussi l’emmener à un autre endroit, il permet de travailler sur l’inconscient, sur des zones mystérieuses vers des écritures contemporaines. C’est le lieu de la complexité, de la perplexité, qui permet de sortir de la binarité de la vie, c’est aussi ça qui nous a fasciné dans le masque. Il fait le lien avec l’indicible, dans un grand écart entre le comique et le tragique, le sacré et le profane ».

 

 

 

 

APRES LE SPECTACLE

ZYPHER Z : pièce grand format 


Pièce baroque, débordante, qui semble contenir plusieurs pièces en une, Zypher Z s’est rêvé durant le confinement et traduit avant tout, selon Louis Arène, « une énorme envie de revenir au plateau ». C’est le 4e projet de la compagnie, il a été conçu comme un vaste terrain d’expérimentation. Ils sont six acteurs au plateau mais donnent l’impression d’être au moins 15. Tout est au superlatif dans ce spectacle : les monstres au cœur de la pièce résident aussi dans la forme même de cette pièce pour grand plateau. On est face à un théâtre visuel, très physique, à un théâtre de l’imaginaire, non réaliste, proche de la marionnette. 

 

 

 

Un texte écrit à six mains 


Ecrit à six mains par Lionel Lingelser, Louis Arène et Kevin Keiss, le texte de Zypher Z n’est qu’un des éléments de la dramaturgie qui se construit d’abord sur un plan non textuel, à partir de tous les éléments du plateau :  corps, masques, espace, lumière son, actions scéniques. Il ne s’agit pas d’une narration linéaire, la pièce avance par tableaux et ouvre à différentes lectures, à la fois politique, écologique, psychanalytique, philosophique sans jamais s’arrêter sur aucune. Comédie noire et délirante, Zypher Z porte aussi un regard très drôle sur le monde et déjoue sans cesse l’esprit de sérieux pour jouer avec les formes. Dans la fabrication du spectacle, tout s’est créé en parallèle, la dimension visuelle comme le texte, dans une approche globale du plateau qui s’empare aussi de toute la machinerie du théâtre… Parfois c’est un état de corps ou une envie esthétique, une recherche technique — comment dédoubler un corps sur scène — qui engendre la scène. Tout ici concourt à créer un monde.

 

 

 

Pièce dystopique et rétrofuturiste 

 


Zypher Z interroge la condition humaine dans un univers transhumaniste effrayant et drôle. Où sommes-nous ? A quelle époque sommes-nous ? Chez Kafka, à l’heure des robots, chez Orwell ? Le décor nous plonge dans un univers sombre de bas-fond, une nuit permanente, oppressante dont on ne sort jamais.
Zypher, notre héros, est l’un des derniers représentants de l’espèce humaine. Modeste employé d’un institut de sondages dirigé par une éléphante toute puissante, il évolue entre frustration et accablement au milieu d’animaux anthropomorphisés et de robots esclaves. Méprisé de toutes parts, il tente de faire entendre ses projets de réforme, jusqu’au jour où il donne naissance à un autre lui-même, un clone, le fameux Z. Un double sans scrupules, aussi mauvais que Zypher est naïf, qui n’hésite pas à flatter l’éléphante pour tracer son chemin vers le pouvoir.

La pièce pose des questionnement sur l’identité, portée par le motif du double, sur le rapport aux autres, sur l’altérité, ainsi que sur l’intelligence artificielle, Zypher Z peut aussi s’entendre comme une fable à portée écologique s’interrogeant sur notre rapport à la nature aux animaux. Si les personnages animaux tiennent plus de l’humain que des animaux peut-être s’agit-il, pour les créateurs du spectacle, de pointer ce qui nous rassemble, humains et animaux, et de les montrer comme nos semblables ?

De nombreuses références

Les créateurs du Munstrum revendiquent le mélange des genres : ils aiment à convoquer sur le même plan des références classiques et des éléments de la culture populaire, ils en jouent avec ironie. Toute la recherche qu’ils développent sur les antagonismes, incarnée ici à travers les figures de Zypher et de Z (le bon et le méchant), réside aussi à l’endroit des références. Ainsi le Z du titre, Zypher Z, fait ironiquement allusion à ce qu’on nomme « série Z », soit une production bon marché de mauvaise qualité. La peinture, le cinéma, la BD, les séries, le théâtre, la littérature : il n’y a pas de sous-référence ou de sous-culture, tout est ici sur un plan d’égalité.

On a déjà cité Orwell, dont le roman 1984 est exemplaire du concept de dystopie. La pièce cite également La Ferme des animaux (« certains sont plus égaux que d’autres »). L’univers de Franz Kafka plane sur toute la pièce, en particulier pour la notion de métamorphose. On peut aussi évoquer le film Brazil de Terry Gilliam ou le roman Docteur Jekyll et M.Hyde de Stevenson sur la question du double.

En vrac, on entendra un extrait de l’opéra Didon et Enée de Purcell, une prophétie de Marguerite Duras sur la télévision, Elton John, Barbara, Jean-Luc Godard… Il ne s’agit pas pour eux de noyer le spectateur.ice.s sous une avalanche de références mais plutôt de jouer de ce trop-plein, à la façon dont le monde contemporain, les médias, Internet, les réseaux sociaux nous inondent en continu d’un flux d’infos et de références. Lionel Lingelser et Louis Arène confient être très inspirés par des créateurs tels que David Lynch ou Roméo Castellucci, notamment sur la façon dont les histoires se racontent aussi de manière non narrative, non linéaire, mais à travers un climat, un espace… une angoisse qui sourd de tous les endroits du plateau. Le cinéaste David Lynch a lui-même beaucoup traité du thème du monstre et de la différence dans ses films. Idem pour le metteur en scène italien Roméo Castellucci qui a maintes fois exploré la figure du monstre, du hors norme, dans ses différents spectacles, notamment dans Genesi. Le burlesque, le cabaret, le cirque se mêlent dans cette pièce qui offre aussi à l’équipe de Munstrum l’opportunité de tester des matières, de travailler sur les formes, les costumes, de mener des recherches scéniques sans frein. Chez eux les spectacles s’alimentent les uns les autres. D’un spectacle à l’autre il y a l’envie de tester de nouvelles voies, d’explorer les limites scéniques. Ainsi l’équipe a mené de nombreuses recherches ici avec la marionnettiste Carole Allemand pour créer la scène où Zypher se dédouble.
 

 

L'inconscient 



On peut aussi imaginer une lecture psychanalytique de Zypher Z où le motif du monstre apparaît comme ce que refoule notre inconscient. On est face à un théâtre de l’imaginaire, un théâtre onirique qui œuvre par visions abstraites, par associations d’images et d’idées qui vient chercher les spectateur.ice.s au niveau des fantasmes, de l’inconscient. Ainsi, comme dans Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll, Zypher bascule dans une autre dimension, celle du rêve ou du cauchemar. Mais cette fois, au lieu d’une fillette hardie qui s’engouffre dans le trou d’un terrier de lapin, voilà qu’on voit un personnage tout pétri d’humiliations qui passe littéralement par le trou des WC pour se retrouver, couvert d’excréments, dans le monde des robots, des bas-fonds et de l’hybride. Ce passage d’un monde à l’autre, qui articule également la pièce en deux parties distinctes, c’est le lieu des excréments, du rebut, des déchets. Plus tard, dans le cabaret des robots, on retrouve le sujet des matières fécales dans une citation d’un texte du dramaturge et poète Antonin Artaud.. A ecouter ici 
Que dire de cette masse grouillante à laquelle semble réduite l’humanité à la fin et d’où s’extirpe le personnage pour s’élever ?
A travers cette vision organique de l’existence, Zypher Z aborde aussi les notions d’indéterminé, de mélange, d’hybridité, d’impureté et nous montre un monde poreux où les connections se font par contamination.

 


 

Le masque dans ZYPHER Z 


 
Ici, le masque ne caractérise pas un personnage, ce n’est pas un attribut, comme dans la comedia dell arte, associé à une figure tel Arlequin, ou le Capitaine, qui correspond à un jeu très typé. « Ce qui m’intéresse quand je crée ces masques, explique Louis Arène, ce n’est pas un nouveau visage mais c’est plutôt ce qu’il enlève du visage de l’acteur, ce qu’on ne voit pas, quand on les regarde comme ça, ils ne sont pas très intéressants, ils n’ont pas vraiment d’expression, ce que je cherche c’est de créer une surface de projection lisse qui va permettre à l’imaginaire du spectateur de travailler, qui va l’investir d’une autre manière. Cela suscite une fascination pour ce qu’il ne voit pas la majeure partie du visage n’est pas accessible donc l’imaginaire est davantage sollicité ». Le jeu masqué, la marionnette permettent ici de décoller du réel. Les robots, les attributs des animaux (trompes, oreilles…), marionnettes ont été créés dans l’atelier de Carole Allemand, notamment en mousse et en latex.

 

 

Avant spectacle

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Après spectacle

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